Une aventure de Basile, un cachalot dans la baignoire, François Colette, Seuil jeunesse, 2025, 13€90
Dans le grand livre des cétacés, Basile découvre tout un tas de noms rigolos, comme le globicéphale. Et puis des mots compliqués, comme profondeurs. Il poursuivrait bien la lecture avec papa, mais voilà, c’est l’heure du bain. Pour le convaincre, papa propose à Basile de jouer avec son dauphin. L’argument est accepté et voilà Basile dans l’eau.
Mais alors qu’il plonge son jouet dans les profondeurs de la baignoire, voilà qu’en surgit un vrai marsouin. Ça ne dérange pas tellement Basile mais ça éclabousse drôlement, papa va pas apprécier.
Des animaux marins de plus ne plus gros déboulent dans la salle de bain et décidément, le rideau de douche ne suffira pas à éviter l’eau partout.
Basile, pourtant, sait très bien que ce n’est pas bien de tout mouiller, mais impossible de discipliner une orque ou un cachalot.
La salle de bain devient un véritable décor dans lequel la place vient à manquer, pour représenter la carrure des cétacés l’illustrateur joue avec les cadrages et les points de vue. La rondeur des animaux contraste avec le motif géométrique du carrelage, on passe de plongées vertigineuses à des contre-plongées qui mettent la focale sur les abysses sous la baignoire.
Ça fonctionne très bien, souhaitons que cette première aventure de Basile soit suivie de nombreuses autres.
Nous t’attendions, Xan Harotin, Lucille Michieli, l’étagère du bas, 2024, 14€
L’histoire commence comme un récit de naissance, avec un couple qui s’adresse à son enfant à naître. L’enfant rêvé, imaginé, celui que l’on porte dans notre tête et dans notre cœur avant de le tenir enfin dans nos bras. Celui est est encore un mystère.
Mais on comprend rapidement qu’il n’y aura pas de grossesse cette fois quand on lit ces mots « On ne savait pas à quoi tu allais ressembler. On ne savait pas quel caractère tu aurais. On ne savait pas quel âge tu aurais. »
Si l’attente est longue, elle semble sereine et confiante. Les futurs parents se projettent et préparent l’arrivée de l’enfant, ils ont de nombreux projets pour lui, et beaucoup d’interrogations aussi.
De l’adoption en elle-même, on ne parle pas ici, elle se produit comme un miracle plus que comme une épreuve. Un jour, l’enfant est là. C’est une fillette. La relation s’instaure immédiatement, chaleureuse, douce et porteuse d’avenir. On me demande régulièrement des livres sur l’adoption (entre autres, parce qu’il m’arrive de travailler dans un foyer de l’enfance) et je peinais jusqu’ici à trouver le livre adapté.
Je ne souhaite pas proposer aux familles des histoires prescriptives qui prétendent leur dire comment se comporter. Ni de livres qui « montrent ce qui va se passer »: On ne sait pas ce qui va se passer. Nous t’attendions permet de penser la singularité de chaque histoire individuelle, tout en montrant ce qu’il y a de commun : le désir, l’attente, la joie.
Il y a aussi beaucoup de fraîcheur et de légèreté dans les images, ce qui contribue à dédramatiser le sujet de façon appréciable (et en plus, y’a un chaton trop mignon).
Grand Ours et Petit Ours vont à la pêche, Amy Hest, Erin Stead, les éléphants, 2024, 14€50
En littérature enfantine, il y a des ours mal léchés, des oursons grognons, des ours effrayants, et même quelques ours méchants. Mais ceux qui ont ma préférence, sont les ours pleins de tendresses, ceux qui font écho à l’ours en peluche que nos bambins serrent pour s’endormir. Ce sont ceux à qui nous avons affaire ici, et le trait d’Erin Stead est parfait pour leur rentre hommage.
Car quand Grand Ours et Petit Ours vont à la pêche, il ne s’agit ni de trouver un repas ni d’afficher une quelconque performance sous la forme de poissons nombreux ou volumineux. Non, ici l’enjeu est le temps passé ensemble, celui qu’on s’accorde, celui qu’on prend. Le temps qui est tellement indispensable justement parce qu’il n’est pas productif.
Certes, ils ne vont pas ramener de poisson à la maison ce jour-là, mais n’allez pas croire que Grand Ours et Petit Ours ne font rien. Leur journée est bien remplie. Remplie de bottes à enfiler, de cirés à poches et capuches, de petits gâteaux à la myrtille, d’histoires à lire sur la barque, de chariot à tirer dans un sens et à pousser dans l’autre. Remplies aussi du regard que l’un pose sur l’autre, toujours doux, toujours patient.
Ils échangent peu de mots et de fait le texte n’est pas bavard non plus. Juste ce qu’il faut. Pareil pour les images. Beaucoup de blanc et une large place laissée au bleu clair de l’eau de la rivière. C’est limpide, c’est épuré, on ressent une grande impression de liberté et le temps semble suspendu. On est bien. On est heureux de partager une journée avec ces deux ours qui ont une relation adulte/enfant tellement sereine, tellement juste, tellement douce.
Ma mère est une panthère, Malika Doray, MéMo, 2023, 16€ Selon les tâches à accomplir, les humeurs et les nécessités, les mères s’adaptent. Au point parfois de sembler polymorphes. Le narrateur qui nous raconte sa mère observe les transformations dont elle est capable: « ma mère est une panthère, surtout quand elle est en colère. Et lorsqu’on est en retard, ma mère est un jaguar. (…) Mais le soir quand elle me couve, ma mère est une louve »Le texte est tout en rondeur, comme les illustrations. C’est doux et moelleux comme un édredon, l’image de la mère est enveloppante, rassurante, parfois même marrante. Une mère à laquelle on peut s’identifier (ben oui, les livres pour enfant, c’est bien connu, sont lu par les parents), que je mettrais dans la catégorie « suffisamment bonne et même au-delà ». Le seul sentiment négatif qui la traverse est justement la colère, évoqué en tout début d’album mais qui reste très douce, l’image ne montrant aucun affrontement entre l’enfant et la panthère. Au fil des pages on suppose avoir affaire à un hymne à la maternité. Mais la chute montre que prendre soin n’est pas l’apanage des mères: Le narrateur deviendra un jour père et lui aussi pourra être à la fois crabe, orang-outan ou panthère.
Je crois que c’est la première fois que Malika Doray met en scène un personnage humain, d’ailleurs elle adopte ici un style un peu différent de son habituel: pas de gros cerne noir qui entoure habituellement ses personnages et des couleurs plus texturées. Mais on reconnait toujours son style rond et chaleureux, qui sera apprécié des bébés, tout comme le texte très musical.
Dans l’univers, il y a mon papa, Gigi Bigot, Julia Spiers, Didier jeunesse, 2023, 14€
« Dans l’univers, il y a la terre. Sur la terre, il y a un pays. »
Cette structure narrative issue du poème Dans Paris il y a, d’Eluard, on la retrouve dans de nombreux albums.
Sans doute parce qu’elle permet de faire un focus sur un sujet qui préoccupe l’enfant.
J’aime voir la façon dont auteurs et illustrateurs s’en emparent pour en faire une œuvre singulière, qui reflète leur univers.
Ici, il y a les gouaches de Julia Spiers, qui attirent immanquablement le regard.
Au texte, Gigi Bigot joue sur l’effet de zoom et dé-zoom pour évoquer l’éloignement des êtres et du rapprochement des cœurs.
Car dans les rêves d’un enfant qui est ici, il y a un père qui est là-bas. Et dans ceux de ce papa qui est loin en mer, il y a son p’tit gars.
Les illustrations, qui mêlent l’étrangeté du rêve et le réalisme du quotidien abolissent les distances. Père et fils, réunis sur la couverture, sont ensemble grâce aux rêves qu’ils font l’un de l’autre.
Le thème de la séparation et de l’amour père enfant, mais aussi la douceur poudrée des illustrations et le rythme du texte rendent cet album très accessible aux tout petits. L’universalité du sujet attirera également les plus grands. Et le charme infini des images en font également un régal pour les adultes.
Dans l’univers il y a mon papa aurait donc toute sa place dans la sélection des cadeaux de naissance!
Papa, Quentin Gréban, Hélène Delforge, Mijade, 25€, 2023 Le duo Hélène Delforge et Quentin Gréban nous avait déjà attendris avec leur magnifique album Maman, ils nous avaient émerveillés avec Amoureux, c’est donc naturellement avec une grande impatience que j’attendais la sortie de Papa.
Sur le terrain d’ailleurs, quand je propose la lecture d’extraits de Maman à des familles, on me demande presque toujours s’il existe le pendant masculin.
Alors disons le tout de suite, avec un tel horizon d’attente, le pari était difficile à relever.
A la première lecture, je n’ai pas retrouvé l’émotion qu’avait suscité en moi l’album Maman. Sans doute en partie parce que l’identification ne fonctionne pas autant bien sûr.
A la deuxième lecture, je mesure à quel point Hélène Delforge a du se plier à un exercice d’équilibre difficile.
Faire un livre aussi sincère que le premier, sans qu’il n’en soit le miroir. Donner une représentation des pères qui ne soit pas caricaturale, ni trop stéréotypée, sans tomber dans l’angélisme pour autant.
Ne pas représenter que des situations idéales mais ne pas tomber dans le pathos.
Et finalement, elle fait le boulot, avec sa délicatesse habituelle. On devine que chaque mot a dû être pesé, que le fil de chaque histoire a dû être tissé avec attention. Il y a le papa aimant, le papa inquiet, celui d’un week-end sur deux, le papa d’une fille alors qu’il voulait un garçon, celui qui est aussi un fils, et l’homme qui ne sera jamais papa.
Cela forme une galerie de portraits (non exhaustive bien entendu) nuancée, qui correspond à une réalité multiple.
Aux images, Quentin Gréban est toujours aussi impeccable, ses illustrations (peintures pleines pages et petits crayonnés sur la page de texte) accompagnent parfaitement le texte.
La comète, Joe Todd-Stanton, l’école des loisirs, 2023, 14€
Mila vit avec son père dans une grande maison au bord de l’eau. De la fenêtre de sa chambre, elle voit la mer, le ciel immense, les arbres. Les premières pages montrent une vie familiale pleine de douceur et de chaleur.
Son père joue avec elle, cuisine, va la chercher à l’école.
Mais lorsqu’il trouve un nouveau travail, ils doivent déménager en ville.
Le changement de vie est radical et ce n’est pas facile pour Mila de se familiariser avec ce nouveau milieu.
Il faut s’habituer à la foule, à l’absence de nature, une nouvelle école mais aussi à un père beaucoup moins disponible.
Puis survient l’évènement magique. Une comète venue du ciel fait grandir un arbre, pousser des feuillages, surgir la nature, dans cet environnement urbain.
Quand papa arrive, on découvre que sous l’impulsion de la comète, tout droit sortie de son imagination, Mila a décoré sa chambre de motifs floraux, dessinés à la peinture sur les murs, il y en a jusque sur le plancher.
Il semble que la poésie de ce geste artistique n’apparaisse pas immédiatement aux yeux du père, qui y voit surtout une grosse bêtise. Mais finalement…
L’univers graphique de Joe Todd-Stanton (très remarqué pour ses deux précédents albums: Jules et le renard et Le secret du rocher noir) s’affirme au fil des albums, de plus en plus maîtrisé: Couleurs chatoyantes, place prépondérante de la nature, mise en page impeccable.
La comète n’est pas un album prétexte, pour aborder le thème du déménagement ni celui de la famille monoparentale, ou encore celui de la solitude. C’est une histoire jolie et poétique, qui aborde, entre autre, ces questions-là.
Dépêche toi Alphonse Aubert, Gunilla Bergström, l’étagère du bas, 2022, 12€ Oh joie, oh bonheur, un nouvel opus de cette réjouissante série est sorti cette année!
Nous y retrouvons le petit garçon à tête ronde et son flegmatique papa, qui, cette fois, risque bien de perdre patience!
Parce que voilà, c’est le matin, il faut se préparer pour l’école, mais le petit garnement d’en fait qu’à sa tête et a toujours une activité plus urgente. Alors que son père insiste avec ses « Dépêche toi, Alphonse! », lui enfile un pull à sa poupée, répare une petite voiture cassée, lit un livre sur les reptiles. Que d’occupations absolument nécessaires avant de partir pour la maternelle, vous en conviendrez!
Dans la cuisine, le ton commence à monter, papa n’en peut plus d’attendre son fils et il se crispe à chaque fois qu’il entend une réponse qui commence par « Il faut juste que je… »
Évidemment, le temps passe, l’horloge représentée sur les pages de texte est implacable, alors que l’histoire a commencée à 6 heures il est presque une heure de plus quand Alphonse entame son petit déjeuner. Mais il a une surprise pour papa, et bientôt la situation va s’inverser.
Quelle fripouille cet Alphonse!
Le trait tremblant, les images décalées, l’humour et surtout la situation, tellement proche de la réalité, me plaisent toujours beaucoup dans les albums de cette série.
Celui-ci peut être un prétexte pour parler de l’école, de la routine matinale ou même pour apprendre à lire l’heure (on retrouve l’horloge et ses aiguilles presque à chaque page), si vous voulez vraiment rentabiliser chaque lecture.
Mais je vous invite plutôt à le lire juste pour passer un bon moment, ce qui est tout de même la fonction première de la littérature
Dans un jardin magnifique, où la nature est luxuriante, un petit blondinet content de lui regarde la peinture qu’il vient d’achever.
On sent toute la satisfaction du travail accompli et on mesure l’importance de son œuvre en voyant l’empressement avec lequel il veut le montrer à son père.
Il faut dire qu’il y a autour de lui matière à inspiration. Tout dans la demeure comme dans le jardin est remarquable, la beauté est partout.
L’enfant déboule en trombe dans un salon où les œuvres d’art sont légion et proclame fièrement « PAPA, regarde mon tableau! » brandissant la toile au dessus de sa tête. Le père (que le lecteur adulte aura peut-être déjà identifié à ce stade) admire consciencieusement le dessin de son rejeton, et s’empresse de lui trouver une place de choix dans son atelier où il sera à côté de grandes œuvres, parmi lesquelles on repère de nombreux motifs floraux et aquatiques. Ne serait-ce pas des nymphéas? Mais le mouflet n’est pas satisfait, cette petite place de rien de tout pour son joli tableau? Jamais de la vie! Il va lui trouver un lieu à sa mesure!
Ce n’est qu’en fin d’album que l’on découvre ce que l’enfant à peinturluré. Pas sûr qu’il ait hérité du talent de son père, mais qu’importe, il bénéficie de tout l’amour qu’un père peut avoir pour son fils, et le tableau probablement sera chéri.
Les lecteurs qui ont eu la chance de fouler un jour la maison de Claude Monet à Giverny reconnaîtront sans mal la façade emblématique. Les œuvres majeures du maître sont également identifiables.
L’illustratrice joue avec des découpes dans les pages et des rabats pour rendre la beauté du lieu, et c’est très réussi. Mais ceux qui ne connaissent pas l’univers représenté auront tout autant de plaisir à la lecture de cet album, qui met en avant la relation chaleureuse entre un père et son fils. Et la chute est pleine d’humour et de fraîcheur.
C’est une particularité qui était là dès la naissance. Une main pas comme les autres, avec seulement trois doigts. Les médecins ont parlé de « pince de crabe ».
Le père de la fillette, qui est également le narrateur, raconte les différentes étapes. La découverte de cette singularité (qui ne vient pas éclipser le bonheur de voir naître un bébé en bonne santé), l’opération pour séparer les deux doigts collés et permettre au pouce de fonctionner correctement, l’enfant qui grandit et apprend à utiliser cette main particulière et parfois les moqueries et la colère.
La petite fille, elle, grandit avec sa particularité sans rancœur. Cherchant plutôt les bons côtés, elle remarque que cela la fait ressembler à un extraterrestre ou que sa main-oiseau est pratique pour se faufiler dans les trous de souris.
Et finalement, tant qu’elle peut mettre sa petite main bien au chaud dans celle rassurante de son père, on devine qu’elle peut tout affronter.
On sent que le texte hésite un peu entre deux genres. Il se veut tantôt poétique tantôt explicatif et le mélange de ces deux parti-pris n’est pas toujours heureux.
Cependant il est touchant car habité d’une sensibilité réelle.
Les images le complètent et l’enrichissent, offrant parfois un contrepoint. Quand le texte évoque les moqueries, elles montrent des griffes ou dents d’animaux sauvages.
Avec une dominante de tons bleus, souvent mêlé à du marron ou ocre, elles plongent le lecteur dans une ambiance plutôt froide, que les mouvements de la petite fille viennent parfois réchauffer.
La fin met en valeur la relation chaleureuse entre le père et la fille, qui est d’ailleurs centrale dans tout l’album.