Dans la maison de ma grand-mère, Alice Melvin, Albin Michel jeunesse, 16€90
De temps en temps, j’ai vraiment besoin de quitter Paris. De changer d’environnement pour profiter d’un endroit plus calme, plus doux, un endroit à la fois familier et apaisant.
Alors, je m’installe sur mon canapé, ma cadette bien blottie contre moi, et je lui lis cet album. Même la mouflette (qui à tout de même dix ans) délaisse parfois son roman pour se joindre à nous.
Alice Melvin nous invite à pousser le portillon d’une maison de campagne. Un ballon gonflé à l’hélium y est accroché, on comprendra pourquoi à la fin de l’album.
Nous suivons une fillette dans cette maison qui semble être une parenthèse hors du temps. Une découpe dans chaque page permet de voir toujours à la fois celle qui précède et celle qui suit. Ce fil conducteur qui permet de regarder à la fois le passé et l’avenir en permanence contribue à donner une impression de grande sécurité.
La fillette nous fait une visite guidée de la maison dont elle est si familière et on sent que chaque objet à une histoire, que de nombreux jeux se sont déroulés ici. On sent qu’il existe entre la narratrice et sa grand-mère un lien tendre et solide. L’atmosphère sereine et désuète de cet album en font un livre doudou, un vrai feel good book.
On a grand plaisir à observer longuement les images délicates et détaillées.
Avant après, Anne-Margot Ramstein, Matthias Aregui, Albin Michel jeunesse
J’aime infiniment me laisser surprendre par les enfants. Les écouter et être épatée par leur sens de l’a-propos ou au contraire rester perplexe devant l’absurdité apparente de leur raisonnement.
Les albums sans texte sont particulièrement propices à cela. Ils donnent la parole aux mouflets (qui s’en emparent ou non). Nous, adultes, devons alors accepter de passer au second plan, de lâcher prise, ce n’est plus nous qui menons la lecture. On a parfois du mal d’ailleurs.
Avec l’album « Avant après » les enfants ont souvent plein de choses à dire. Parce qu’il n’y a pas de texte mais aussi parce que chaque succession d’image raconte une histoire, invite à la réflexion, étonne ou amuse.
Cet imagier montre successivement deux états d’une même chose (objet, lieux, animal) à deux moments différents. Le gland devenu chêne, le glaçon devenu flaque. A chacun d’imaginer ce qui a pu se passer, d’évaluer le temps, très variable, qui sépare les deux images.
Si l’action se déroule généralement dans l’intervalle entre deux pages certaines séquences nous prennent par surprise, nous incitent à revenir en arrière dans le livre pour faire le lien: Cet arbre qu’on voit en été puis en automne est bel et bien le chêne qu’on a vu naître d’un gland en début de livre.
On repère aussi quelques références aux contes qui ne laissent pas les enfants indifférents (les trois petits cochons, cendrillon) et les auteurs s’amusent parfois à nous mettre dans une boucle temporelle (l’œuf et la poule, évidemment).
Certains enfants, particulièrement bavards, nous offrent un accès privilégié à leur pensée, on peut alors s’émerveiller de ce qu’ils ont à dire.
D’autres ont besoin d’être guidés avec les livres sans texte, je leur donne alors quelques clefs de lecture dont ils sont libres de se saisir ou non.
C’est toujours un exercice d’équilibre périlleux que d’essayer de leur ouvrir des portes de compréhension sans leur imposer notre propre interprétation. Mais en étant très attentif à l’enfant auquel on lit l’album, en se laissant guider, en évitant d’être trop interventionniste, on peut passer des moments extra.
C’est une chaude nuit d’été sur la ville de New York. Toutes les fenêtres de l’immeuble sont illuminées. Dans la rue, l’agitation citadine bat son plein: le camion poubelle rugit, le taxi klaxonne, on devine que le glacier italien fait salle comble.
Derrière la façade de brique rouges la vie de famille suit son cours habituel. Une fillette cherche de la compagnie pour partager un jeu de société. Mais sa grande sœur est pendue au téléphone, sa mère est concentrée sur son ordinateur et son père est aux fourneaux. Tout le monde est « trop occupé! »
Mais soudain, les lumières s’éteignent sur la ville une à une.
La coupure d’électricité ouvre soudain une parenthèse dans la routine de chacun. Dans le noir, à la lueur de la bougie, on se parle, on joue et, comme il fait vraiment très chaud, on décide de sortir en famille, prendre l’air sur le toit de l’immeuble.
Dehors, une fête s’improvise, les gens dansent ensemble. En bas aussi ils se rencontrent, les enfants jouent dans le jet d’eau de la borne incendie et le glacier offre ses gellati aux passants. A la faveur de l’obscurité, les liens se créent, l’ambiance devient festive. Quand la lumière revient, chacun reprend (presque) le cours habituel de sa vie.
Entre album et bandes dessinées, ce très beau livre offre des cadrages variés, un découpage de l’image qui rythme le récit et une belle alternance entre les couleurs froides de la nuit et les couleurs chaudes de la fête.
Cet album, qui a obtenu le prix Caldecott en 2012 est une belle invitation à débrancher. Je suis toujours particulièrement touchée par les livres qui me dépaysent, qui m’emportent dans une ambiance, qui me font perdre la notion du temps. C’est le cas de celui là et c’est toujours un grand plaisir de le partager avec un enfant.
Ça doit être un truc d’auteur, d’aimer observer les gens qui passent. Sylvie Serpix, en regardant les promeneurs avec leurs chiens, a constaté que, bien souvent, maîtres et cabot se ressemblent. Peut être que quand on choisit un chien, on en prend, volontairement ou non, un qui nous ressemble? Ou peut être qu’on finit par se ressembler à force de passer du temps ensemble, comme ces vieux couples?
En tout cas de ce constat elle a tiré une galerie de portraits et de cette galerie de portraits un album.
Pour gagner le concours phototoutou, rien de plus simple. Chacun doit présenter un ou plusieurs clichés pris dans le photomaton, où il pose avec son chien.
Chaque portrait est accompagné d’un texte de présentation. Chaque double page ouvre donc une fenêtre sur une histoire singulière, on ne sait pas grand chose de chaque protagoniste mais suffisamment pour s’y attacher.
Les illustrations, à la peinture, sont parfois presque hypnotisantes. On ne sait plus où commence le chien, où se termine l’humain. On admire tant de créativité dans l’espace réduit d’un photomaton. Souvent, les enfants ont besoin de plusieurs lectures pour décrypter certains portraits. Le visage de Louis, à moitié caché par la gueule de son chien Billy les laisse souvent perplexe (« Il est où le chien? », « C’est des moustaches? », « Il a de drôles d’oreilles le monsieur »). Mais il y a un point commun à tous ces portraits: Le regard des personnages. Il est vivant, chaleureux, franc. L’autre jour, je le (re)lisais à ma mouflette de 5 ans. A chaque page elle me disait « moi je vote pour lui! » Il est vrai qu’on se prend de sympathie pour tout le monde. Petite fille ou vieux monsieur, style classique ou rock’n’roll, sage ou loufoque, la diversité des personnages et des attitudes est très plaisante. En fin d’album l’issue du concours reste ouverte (« Maintenant, à vous de jouer! Souriez… Votez! ») Moi je trouve ça chouette, mais l’autre jour, un petit garçon à qui je l’ai lu dans une crèche m’a demandé, avec insistance: « mais,c ‘est qui qui a gagné alors? Hein, dis, c’est qui, en vrai » Comme mes réponses évasives (« je ne sais pas, ce n’est pas dit dans le livre, qu’est ce que tu en penses, toi? ») ne semblaient pas le satisfaire on a fini par organiser un vote à main levée avec les quelques enfants qui écoutaient les livres autour de moi, c’est Lily et Poppy qui ont gagné!
Poka et Mine, un cadeau pour Grand-Mère, Kitty Crowther, pastel
Comment est-il donc possible, je n’ai encore jamais évoqué ici cette formidable série de l’incontournable Kitty Crowther? Pourtant, je suis très attachée à ces étonnants personnages. Car oui, on peut se prendre de tendresse pour des insectes, surtout quand ils sont aussi sympathiques que ces deux là.
Poka et Mine vivent ensemble. Poka prend soin de Mine. Il l’accompagne chez le docteur quand elle à cassé une de ses ailes. Il la console quand le match de foot s’est mal passé. On ne sait pas exactement quelle est la nature du lien qui les unit, est il le père? Est elle la petite sœur? On a surtout l’impression qu’ils se sont adaptés mutuellement, un peu comme cet autre duo incontournable que sont Ernest et Célestine (Quoi, eux non plus je n’en ai jamais parlé? Mea culpa, je me rattraperais très prochainement).
Ici, donc, Mine trouve un joli coquillage au fond de l’eau. Il est précieux, comme peuvent l’être pour les enfants un joli caillou qui brille ou un bâton tordu. Elle décide d’en faire cadeau à Grand-Mère Dorée. Poka est d’accord, il le posteront donc demain, mais pour l’instant, il est temps d’aller se coucher.
Mais dans la nuit, Bercarte sort sa tête du coquillage. Et, au fond de la mer, ses frères ses frères se mettent silencieusement en route. Berni, Brunnar, Bernardo, Berro, Bernard et Bernart sortent de l’eau, ils cherchent celui qui manque à l’appel. Étrange procession qui chemine vers la maison de Poka et Mine.
Ils trouvent Mine et Bercarde en pleine partie de cartes. Poka arrive à son tour et tous ensemble, ils prennent un thé aux algues. Après cette étrange rencontre où le merveilleux, l’insolite et le légèrement effrayant se côtoient, Grand-Mère dorée recevra finalement un cadeau aussi plaisant qu’inattendue.
Kitty Crowther offre toujours à ses lecteurs des histoires toutes en nuance, des histoires qui intriguent, portées par des illustrations pleines de poésie et de délicatesse.
Un très bel album que vous pouvez découvrir en vidéo sur la chaîne youtube de l’école des loisirs.
Je serai toujours là pour toi, Mark Sperring, Layn Marlow, Kaléidoscope 13€
Ce petit bonhomme tout de jaune vêtu qui regarde une étoile dans le ciel, associé au titre de cet album m’ont d’abord induite en erreur. J’étais à peu prés certaine d’avoir affaire à un livre qui parlait de la disparition d’un être cher.
Mais point du tout. C’est un album sur l’amour et l’attention qu’on peut porter à l’autre.
Le petit bonhomme se penche dangereusement par dessus bord pour pêcher avec son épuisette. Mais, bien entendu, sa mère veille sur lui elle le prend dans ses bras, il est en sécurité.
Alors que l’image montre le ciel qui, peu à peu s’obscurcit, la mer qui devient houleuse, le texte, court et efficace, rassure: le capitaine veille sur la maman, l’étoile sur le bateau.
La tempête gronde à présent, l’embarcation semble bien fragile dans les vagues, mais déjà on aperçoit le port et le papa qui attendait à la maison tend les bras vers son fiston.
A bien y regarder, l’image n’a jamais montré que l’enfant pouvait être inquiet. Il affiche cette sérénité évidente de celui qui se sait protégé, en toutes circonstances. C’est sans doute grâce à cette confiance en les autres qu’il peut avoir aussi confiance en lui et qu’il change de statut à la fin du livre: lui qui est protégé par tous les autres peut à son tour devenir protecteur, si on devine tout au long de l’album qu’il prend probablement soin de son chien, toujours à ses cotés, on découvre aussi qu’il peut aller bien au delà. Nul doute qu’il pourra à son tour dire « Je serai toujours là pour toi »
Le texte, qui ondule sur la page comme des vagues, est magnifiquement servi par l’image, on y devine à la fois la force des vagues et la chaleur du foyer.
Lièvre et ours sous la neige, Emily Gravett, Kaléidoscope, 11€80
Vous vous souvenez de lièvre et ours, les deux compères que nous avons déjà rencontrés lors d’une partie de pêche? Mais si, on avait remarqué que Lièvre semblait avoir un certain ascendant sur son pote, d’ailleurs, si Ours semblait véritablement adorer la pêche, son ami subissait plutôt la balade.
Bon, cette fois, c’est différent. La neige, on pourrait supposer que c’est l’environnement adoré d’un ours. D’un ours blanc sans doute. Mais cet ours là, on le sent un peu sceptique. Alors que le texte décrit les jeux des deux amis, l’image montre que Ours s’enfonce dans la poudreuse au lieu d’y laisser de délicates traces, qu’il tremble de froid et que si ours de neige il y a, c’est juste parce qu’il a été recouvert malgré lui.
Les enfants s’amusent de ce décalage entre le texte et l’image, ils ne sont pas dupes et comprennent parfaitement que l’ours n’est pas à la fête.
Mais, comme dans l’opus précédent, l’amitié aura raison des divergences de goût, ils finiront par trouver l’activité qui leur plaît autant à l’un qu’à l’autre et, ensemble, Lièvre et Ours profiteront de la journée, qui se terminera en beauté par une tasse de chocolat chaud.
On retrouve dans cet album toutes les qualités du premier: beau format, beau papier, le coup de crayon inimitable d’Emily Gravett, des personnages attachants et un texte court.
Les enfants, même très jeunes, identifient immédiatement que les deux livres vont ensemble.
Joseph avait un petit manteau, Simms Taback, Le genévrier 17€
Le petit manteau de Joseph est tout usé. Plutôt que de le jeter il en fait une veste. Quand, à son tour, elle est toute usée, il en fait un gilet, qui, à son tour va être tout usé…
Vous aurez compris le principe de ce conte en randonnée, issu de la culture yiddish: sans être un plaidoyer ostensiblement écolo il montre que l’on peut toujours faire quelque chose de pas grand chose et même de rien, puisque Joseph finira par perdre le dernier morceau d’étoffe mais saura en tirer parti quand même.
Les illustrations sont un mélange d’aquarelle, gouache, crayons, ancre et collage, très colorées, joyeuses et pleines d’humour.
Certaines pages sont trouées, laissant à chaque fois apparaître fois le tissus de l’image précédente. L’imprimé à carreau est ainsi le fil conducteur de l’album.
A chaque fois que Joseph a usé de ses ciseaux et de sa boite à couture il se rend quelque part: à un mariage, à la foire, chanter dans un chœur. Il a l’air d’être très entouré et d’avoir une vie plutôt sympa, Joseph. Comme pour souligner que l’important, ce n’est pas d’avoir des habits neufs pour avoir une vie bien remplie.
Il y a quelque chose de réjouissant dans l’humeur, toujours joyeuse et pleine de vie, de Joseph. Cet album, édité en France en 2011, me met toujours de bonne humeur.
Combien de questions, Cendrine Genin, Rascal, pastel 13€50
Dans la vie des enfants, il y a beaucoup de questions. Celles qu’ils nous posent (et aux quelles on ne sait pas toujours répondre), celles qu’ils se posent (et que nous ne pouvons pas toujours comprendre) et celles que nous, adultes, on leur pose (et qui ne sont pas forcément les plus pertinentes). Il y a aussi toutes celles qu’ils n’osent pas poser, celles aux quelles ils n’ont pas encore pensé, celles qu’ils ne comprennent pas vraiment. Plus de questions que de réponses.
Elles sont le moteur de leur intelligence, leur curiosité est insatiable, dans leur désir de comprendre le monde, ils ne s’arrêtent jamais.
Il y a des livres qui tentent d’apporter des réponses aux questions enfantines. Tentative vaine d’étancher leur soif d’apprendre peut être.
Généralement, plus un livre veut apporter des réponses définitives et moins il m’intéresse.
Ceux qui retiennent le plus mon attention sont souvent ceux qui n’apportent que quelques éléments de réponse et laissent l’enfant terminer le chemin.
Ici, les auteurs vont plus loin. Ils ne proposent que les questions. Philosophiques ou très terres à terre, drôles, absurdes ou sans réponses. Des questions qu’on ne peut comprendre que si on regarde aussi l’image du livre ou qui sont encore plus étranges accolées à l’image. Des questions enfantines et des questions très sérieuses. Des questions sur lesquelles les enfants vont s’attarder très longuement ou qu’ils vont à peine écouter.
Quand on feuillette cet album avec un enfant, il faut prendre son temps. Pas à cause des 184 pages (et une question par page) mais parce qu’il suscite de nombreuses discussions. D’autres interrogations, des réflexions sur l’image, des associations d’idées. Je n’ai pas encore eu l’occasion de l’utiliser dans un cadre professionnel (je l’ai amené quelquefois mais les enfants ne l’ont pas choisi), mais j’ai passé déjà plusieurs heures (pas en une fois, hein) avec ma cadette (ma cinq-ans-déjà, pour ceux qui ne suivent pas), autour de ce livre. On s’installe pour le regarder et on se laisse entraîner là où notre imagination nous mène, guidées par les magnifiques images de Rascal. Comme souvent chez lui, les techniques d’illustration varient d’une page à l’autre. Pochoir, gravure et photo côtoient peinture et dessin. Souvent ma cadette a passé la main sur la page, pour caresser le papier. De temps en temps, je me suis autorisée à en faire autant, presque surprise de sentir le papier glacé si lisse sous mes doigts alors que je touchais des briques rugueuses ou une plume duveteuse.
Cette richesse dans l’image fait de cet album une initiation à l’art et à la lecture de l’image, mais c’est aussi un livre philosophique et une incitation à penser, à imaginer, à interpréter.
John Brown, Rose et le chat de minuit, Jenny Wagner, Ron Brooks, âne bâté Cet album a été un coup de cœur absolu pour moi, le jour où je suis tombée dessus, alors que je débutais dans mon métier et que je découvrais petit à petit la richesse des albums. J’ai eu de la chance, j’ai débuté en travaillant à la bibliothèque l’heure joyeuse, c’est dans ses bacs que j’ai découvert la formidable histoire de cette vieille dame, de son chien, et du chat qui tape l’incruste.
Le livre que j’avais entre les mains était édité par les deux coqs d’or, une édition que je jugeais vieillotte et dont un m’avait peu parlé en formation. Il était surtout introuvable en librairies, depuis plusieurs années déjà.
Quand j’ai enfin eu un budget pour acheter les livres avec les quels j’allais travailler, j’ai arrêté de les emprunter à l’heure joyeuse et j’ai perdu de vue ce merveilleux album pendant (trop) longtemps.
Il a été ensuite édité par « Il était deux fois », une maison d’édition qui s’était donné pour objectif de rééditer des livres injustement absents des librairies. J’ai été contente de le retrouver mais le format à l’italienne, la couverture verte et la nouvelle traduction ne m’ont pas complètement convaincue.
C’est alors que l’âne bâté l’a réédité. Alors là, je suis obligée de préciser que je ne connais pas personnellement cet éditeur et qu’il ne m’a offert aucun pot de vin, tellement je vais encenser son travail.
D’abord il y a ce début magnifique. « Le mari de Rose était mort depuis longtemps. » Cette phrase qui ouvre l’album, qui est tellement importante dans l’histoire, parce qu’elle explique le caractère fusionnel de Rose et son chien, parce que l’absence du mari va être palpable dans tout l’album sans qu’il n’y soit plus jamais fait allusion, cette phrase donc, se pose sur une page blanche.
Comment expliquer de façon plus pertinente aux enfants ce qu’est la mort? Un vide, rien d’autre.
Et sur la page de gauche, la suite, comme une évidence: « Maintenant, elle vivait seule avec son chien. Il s’appelait John Brown. » L’image dans une vignette toute en rondeur, montre Rose et John qui regardent l’un vers l’autre, ils ne font qu’un. A la miche de pain sur la table, à la gamelle aux pieds du chien on devine que Rose a auprès de John une fonction maternelle/nourricière.
La simplicité et l’évidence de cette mise en page suffisent à provoquer des frissons quand je lis cet album à voix haute.
Pendant quelques pages, la vie s’égraine, paisible, au rythme des saisons, pour la vieille dame et son chien. On ne sait pas très bien le quel des deux veille sur l’autre, ils ont une relation pleine de tendresse qui peut aussi être celle d’un vieux couple.
Et puis un jour, Rose voit un chat par la fenêtre. John, lui, ne voit rien. D’ailleurs, il détourne la tête. Pour la première fois, on les voit séparés par la charnière de la page. Le portrait du défunt mari, au centre de l’image, semble arbitrer la scène.
Rose insiste, elle veut donner du lait au chat. Dans cette nouvelle édition, au grand format carré, les couleurs ont retrouvé leur éclat. Et l’œil attentif du bambin à qui on lit l’album peut alors repérer la silhouette du félin, sur le poirier, devant la maison.
John est inquiet. Il a peur de perdre se place, dans le cœur de Rose.
Ce que j’aime infiniment dans ce livre, c’est qu’il laisse l’enfant (et l’adulte d’ailleurs) qui le lit libre de son interprétation. Si John et Rose sont un vieux couple, alors le chat serait l’enfant, qui vient bouleverser l’équilibre établit par sa naissance? Si Rose est maternelle, alors le chat serait le cadet, celui qui menace par sa seule présence la place de l’aîné? Et chaque lecteur peut s’identifier tour à tour aux différents personnages: celle qui ouvre son cœur, celui qui craint d’être évincé, celui qui cherche sa place.
Le travail des auteurs est d’une grande qualité, très pensé et riche. Le travail de l’éditeur est à la hauteur. La place du texte dans la page varie en fonction de l’histoire. Le papier d’un blanc crémeux est épais et agréable. Même la quatrième de couverture est belle.
Un livre qui à mes yeux est indispensable dans la bibliothèque d’un enfant (en crèche il a toute sa place en section de grands)