Professionnelle de la lecture d'album, j'ai eu envie de créer ce blog pour faire connaitre la richesse de la production jeunesse aux parents et aux professionnels de l'enfance. Vous y trouverez des chroniques d'albums (livres de fonds ou nouveautés) mais aussi quelques éléments de pratique de lecture à voix haute et mon actu de formatrice en littérature jeunesse.
Les schémas familiaux sont nombreux et la littérature enfantine se heurte régulièrement à une difficulté pour rendre compte de cette diversité, sans être caricatural ni stigmatisant, et surtout en n’oubliant personne.
Corinne Dreyfuss a trouvé un moyen ingénieux de contourner ce problème.
Permettre au petit lecteur de fabriquer son propre schéma, réel ou imaginaire.
Sur chaque page, on peut détacher une pièce de puzzle et le connecter à une ou plusieurs autres. On peut réunir autant de papas, de mamans, de bébés qu’on le souhaite, parfois accompagnés d’un chat ou d’un chien.
les joyeuses ribambelles ainsi formées ne sont d’ailleurs pas toujours des familles. La petite M., deux ans et demis, lors d’un temps de lecture dans la salle d’attente en PMI a associé ces cinq cartes.
Quand son père lui a demandé ce qu’ils faisaient ensemble, elle a répondu « c’est la crèche, il n’y a pas de papa, il n’y a pas de maman ».
La forme même de cet album permet aux enfants de mettre en œuvre la séparation puis de réunir les personnages, action très porteuse de sens à et âge-là comme le montre cette petite fille.
La lecture (que l’on pourrait ici qualifier de jeu) se renouvelle sans cesse, toujours différente, permettant aux enfants de créer mille et une histoires.
Le livre lui-même en est transformé, puisqu’on ne remet jamais les pièces dans la place où on les a trouvées.
Ainsi à chaque fois qu’on l’ouvre on a affaire à un livre à la fois nouveau et semblable, ce qui permet une expérience de la continuité très appréciée par les petits.
Vous avez remarqué? J’ai recommencé à publier à peu près régulièrement sur le blog, signe que je cours un peu moins après le temps! (en vrai j’ai désinstallé un jeu de mon téléphone portable, ça libère un temps fou…)
Mais j’ai encore quelques projets sympa à venir.
Pour les besoins dune formation que je prépare actuellement, je m’interroge beaucoup sur les critères de qualité des livres, les thématiques abordées par la littérature jeunesse, la notion de littérature engagée et de valeurs portées, la vision utilitaire des albums ou à l’opposé la tentation de l’art pour l’art.
En réalité je tourne autour de ces questions depuis vingt-cinq ans, mais j’ai plaisir à formaliser un peu les choses (et je mesure que parfois mon avis a évolué sur le sujet, heureusement d’ailleurs).
Il y a aussi cette table ronde à la médiathèque Marguerite Duras (Paris 20eme) autour de cette question: Pourquoi des livres pour les tout-petits? J’y interviendrais en bonne compagnie, avec Bernadette Gervais et son éditrice Brigitte Morel.
N’hésitez pas à venir, c’est le vendredi 8 décembre, de 19 à 20h30, entrée libre sans inscription.
Je prépare aussi une formation pour l’éditeur Pastel, qui sera proposée aux professionnels de la petite enfance, et je me réjouis d’aller à Bruxelles pour l’occasion.
Du côté de l’association LIRE, de nouveaux terrains se profilent à l’horizon, avec de nouveaux publics (toujours en lien avec l’enfance ou la parentalité), ça promet d’être intéressant.
D’ailleurs, l’association mène actuellement une campagne de sensibilisation à ses actions, avec pour objectif de mettre en valeur son travail de terrain, vous pouvez déjà consulter les articles sur la lecture à l’hôpital, avec les enfants placés en pouponnière et auprès des détenus pères en prison.
Quoi d’autre? Je dois avouer que ma tentative de sevrage de smartphone est loin d’être parfaite, puisque mon addiction aux réseaux sociaux est toujours aussi vive.
À propos des réseaux sociaux , si vous êtes concernés, n’hésitez pas à rejoindre le groupe professionnels de la lecture d’album, beaucoup de liens intéressants y sont partagés.
Et bien sûr, vous pouvez toujours suivre mon actu sur ma page facebook, mon compte linkedin ou sur instargam. Là, j’avoue, j’ai de grosses faiblesses, rapport au fait que dans ma relation amour/haine avec mon smartphone je n’aime pas tellement faire des photos de livres, donc pour insta c’est pas génial. Mais c’est que les photos qu’il prend sont toujours beaucoup moins belles que les couvertures des livres. D’ailleurs, en photo d’illustration, je vous ai mis ma fille, photographiée avec un smartphone (pas celui que j’ai aujourd’hui, hein, la photo date d’il y a 12 ans) et franchement, elle était bien plus belle en vrai.
Ça sera tout pour aujourd’hui mais je vous remercie de votre attention (et je file me préparer pour aller au salon de Montreuil)
Les petits arbres rêvent-ils de devenir grands? Toni Yuly, Kimane, 13€95 2022 J’aime assez quand la simplicité d’un procédé permet une complexité des idées.
Ici nous regardons la nature à travers les yeux d’un marmot pas plus haut que trois pommes, une fillette semble-t-il.
Elle se promène au milieu des arbres et les observe, plein de questions lui traversent la tête.
Les arbres ont-ils beaucoup d’amis? Est-ce que mon arbre préféré se souvient de moi? Comment les arbres savent-ils que le printemps est arrivé? Les petits arbres rêvent-ils de devenir grands?
La petite est à peine esquissée à gros traits noirs mais elle est très expressive et immédiatement attachante.
Elle se promène le nez au vent au milieu de la faune et de la flore, tranquille et confiante, soulevant sans cesse de nouvelles questions qui restent sans réponse. Car le propos ici ne semble pas être d’expliquer le fonctionnement de la nature mais plutôt de poser dessus un regard émerveillé et aimant.
C’est un album tout simple mais j’ai remarqué qu’il attirait vraiment le regard des adultes et qu’ils ont beaucoup de plaisir à le partager avec leurs enfants, surtout avec ceux qui sont déjà assez grands pour échanger avec eux.
Les plus jeunes, eux, pour ce que j’ai pu observer (cela fait quelques semaines que je travaille avec cet album) cherchent surtout les différents animaux que l’on peut trouver sur toutes les pages.
je suis parfois un peu agacée par la saisonnalité de la littérature enfantine. Car après tout, qui a décrété que c’était en décembre qu’on avait envie de livres sur noël et en octobre de livres qui font peur?
Il me semble que cette saisonnalité relève plus d’une idée d’adulte que d’un besoin réel des enfants.
Pourtant, demandez à n’importe quel bibliothécaire jeunesse, il vous confirmera que les albums sur noël prennent la poussière dans la réserve toute l’année, où ils occupent une étagère entière, et qu’il n’y en a jamais assez pour répondre à la demande en novembre et décembre.
Je le regrette mais voilà, c’est un fait. C’est en ce moment que les livres sur noël sortent (en librairie) et aussi qu’ils sortent des bibliothèques (jargon de bibliothécaire pour dire qu’un livre est emprunté).
J’en conclu qu’il y a une demande et que c’est le moment idéal pour vous parler de trois livres sur noël, qui ont ce sujet pour seul point commun. ( Enfin, et leur qualité bien sûr, je ne chronique jamais des albums que je ne trouve pas bons)
Mon beau sapin de noël, David A. Carter, Gallimard, 2023, 24€90
Mon beau sapin de noël est un pop-up signé par un des maîtres du genre, David A. Carter. Si vous connaissez l’auteur, cela suffit à éveiller votre intérêt.
Chaque page montre un sapin qui s’élève sur une vingtaine de centimètres. Blanc comme neige ou coloré, habité par de nombreuses créatures ou épuré, tous créent l’émerveillement chez le petit lecteur (et ses parents).
Le texte est court et souligne les qualités de chaque arbre. Il se termine par ces mots: « Joyeux noël mon beau sapin », ce qui peut motiver les plus motivés d’entre nous à prolonger l’histoire par une chanson, pour une ambiance 100% noëllesque (oui, ce mot existe, puisque je viens de l’écrire et que vous venez de le comprendre)
Comment le père noël descend par la cheminée? Mac Barnett, Jon Klassen, Pastel, 2023, 13€50
Avec ce second album on change radicalement de registre pour passer du côté de l’humour.
Car c’est bien gentil cette histoire de magie de noël mais parfois les enfants se posent des questions très terre à terre. Et les adultes galèrent pour inventer des réponses fantaisistes.
Ici, personne ne donne de réponse au narrateur invisible qui s’interroge. Il est donc contraint d’émettre des hypothèses lui-même. Peut-être que le père noël rétrécit? Qu’il se glisse sous la porte? Ou devient plat comme un timbre-poste? L’image montre un père noël archétypique, reconnaissable à son costume et sa barbe blanche, qui subit avec flegme toutes ces transformations. Le contraste entre sa placidité et les situations improbables dans les quelles il est représenté est savoureux.
C comme caché, Julia Frechette, les fourmis rouges, 2023, 15€
Ce que j’aime dans les abécédaires, comme dans les imagiers d’ailleurs, c’est qu’ils sont un terrain de jeu pour les illustrateurs qui peuvent y déployer leur talent et mettre en valeur leur univers.
Je ne connaissais pas Julia Frechette (dont c’est le premier album) et je suis très heureuse de la découvrir.
Dans C comme caché, les images se répondent pour créer des petites narrations. On suit un bonhomme en doudoune bleu dans ses pérégrinations en montagne, dans une ambiance hivernale, neige et sport d’hiver.
Ce n’est qu’au bout de quelques pages qu’on remarque le personnage caché dans chaque image. Un chapeau pointu, une tenue rouge et blanche. Les enfants auront tôt fait d’identifier le père noël et se plairont à le chercher.
Le jeu de cherche et trouve, l’humour des situations et l’élégance graphique, tous les ingrédients sont là pour que cet album plaise aux enfants. À mon avis on peut le proposer dès 2 ans sans souci, s’ils ne trouvent pas le père noël à la première lecture ils le repéreront les fois suivantes.
C’est un jour d’ennui pour la petite fille de rouge vêtue. Alors on lui tend un panier, et on lui dit d’aller chez sa grand-mère (le personnage, hors champ, n’est peut-être pas la mère, après tout le petit chaperon rouge avait probablement un père aussi, mais ici on ne sait pas et d’ailleurs la fillette n’est pas le petit chaperon rouge)
La voilà sur le chemin qui rencontre le loup. Un ami visiblement. Pour papoter il s’enquiert de ce qu’elle a dans son panier. Quelques denrées et un livre, pour tuer l’ennui sans doute. La mouflette fait la lecture à son ami, c’est l’histoire du petit chaperon rouge.
Mais à la fin du récit, notre loup n’est pas content du tout. Il n’apprécie guère l’image que le livre transmets de ses congénères. Et puis terminer par « Et tout le monde vécut heureux pour toujours » alors que le loup vient de se faire tuer, fallait oser!
Ils poursuivent leur chemin en imaginant une fin alternative, plus amicale et… Plus gourmande. Car rien ne vaut une pile de crêpes maison!
D’ailleurs ici le loup gentil n’est pas toujours représenté comme mignon, il est même parfois tout en dents et bouche rouge, grande ouverte. Mais ce n’est pas l’apparence qui fait la gentillesse ou la méchanceté, n’est-ce pas? Et il n’est jamais trop tôt pour l’apprendre.
Parmi les nombreux livres-jeux que la production offre aux enfants, il y a un genre qu’ils affectionnent particulièrement, c’est le cherche-et-trouve.
Quand ils sont autonomes et les regardent seuls ou entre eux, c’est l’idéal, des heures de jeu s’offrent à eux et des heures de tranquillité s’offrent à nous!
Mais souvent, très souvent, ils réclament la présence d’un adulte, pour les aider ou juste pour être témoins de leur réussite, quand ils trouvent plus vite que nous.
J’ai quelques souvenirs de séances de lectures assez laborieuses en bibliothèque de rue, avec des enfants exigeant ma présence pour regarder loooonguement (très longuement) les pages de Où est Charlie, le cherche-et-trouve par excellence, qui voit défiler les générations avec toujours le même succès.
Mais il en existe de nombreux autres, et puisque notre présence est requise, autant en choisir des plaisants pour nous aussi (oui, j’ose briser le tabou, les Où est Charlieme les brisent me lassent)
Je préfère largement les deux chouettes cherche-et-trouve que voilà:
Devine, cherche et trouve ville, Manon Bucciarelli, Gallimard jeunesse, 2023, 20€
C’est un hybride, à la fois livre à chercher et livre jeu, puisque les éléments qu’il faut trouver dans l’image ne sont pas identifiés par leur simple nom mais par une description. Ainsi nous découvrons les éléments emblématiques de 16 grandes villes du monde, qui chacune sont représentées sur une large double page.
On cherche la tower eye à Sydney, le bol de ramen à Tokyo, le bus à impériale à Londres.
L’impression en 4 tons directs (violet, jaune, doré et noir) donne une grande unité graphique à l’album, mais chaque page a son atmosphère propre, qui correspond à celle de la ville présentée.
C’est sympa, ça fait réfléchir et voyager et au moins ça ne nous fait pas saigner des yeux comme un certain cherche et trouve à rayures, car ici les images sont très lisibles.
Mais il est tout de même complexe, pour bien savourer les devinettes je dirais qu’il est adapté vers 5/6 ans. Bien entendu, un enfant plus jeune peut l’apprécier aussi à sa façon!
Calinours cherche et trouve, Alain Broutin, Frédéric Stehr, l’école des loisirs, 2023, 12€
Le petit ours blanc créé par Frédérir Stehr fait le bonheur des enfants depuis les années 80.
Dans ce bel album au format généreux (il faut bien ça pour caser tous les détails des images), on le retrouve dans 8 grandes illustrations pleines pages en compagnie de ses amis et de tout un tas d’animaux de la forêt. Dans des situations du quotidien (la baignade, à l’école ou en train de s’endormir), à travers différentes saisons, de jour et de nuit, on se régale à explorer ce petit monde plein de tendresse.
On peut jouer avec deux entrées différentes, selon l’âge et l’habitude des enfants: une frise en bas de page montre les éléments à trouver et un encadré propose d’autres recherches, sous forme de questions (« Combien de grenouilles comptes-tu? » « Un oiseau est en train de perdre son bonnet. Aide-le à le retrouver »).
Il est aussi possible de se promener dans les images comme dans un grand album sans texte, imaginant les petites histoires qui s’y nichent.
Il conviendra donc aux plus petits (dès 2 ans si ça vous dit, en plus les pages sont épaisses et solides, avec les coins arrondis) et durera longtemps (j’ai passé plus d’une heure dessus avec des enfants de grande section de maternelle, ils se sont éclatés)
J’aime l’atmosphère chaleureuse et amicale qui se dégage de chaque page et pour l’instant il ne provoque chez moi pas la moindre lassitude, je suis même contente quand un enfant le choisi. C’est bon signe! De ce point de vue là je le place du côté des grands albums des saisons de Rotrault Suzanne Berner, des années que je bosse avec toujours avec le même plaisir, chaque lecture offrant de nouvelles découverte.
À la recherche du père Noël, Loïc Clément, Anne Montel, little urban, 2021, 22 €
Un très (très) grand format pour cet album hybride entre cherche et trouve et texte illustré.
Certains enfants connaîtront déjà le personnage principal, le professeur Goupil (mais il n’est nul besoin de le connaitre pour apprécier le présent ouvrage)
Il est au chômage et répond à une annonce que personne jusque là n’avait pris au sérieux: il s’agit de remplacer le père Noël, qui a mystérieusement disparu.
Accompagné d’une bande de joyeux animaux indisciplinés, il se rend donc au pôle nord. Pour bien comprendre en quoi consiste le boulot il faut qu’il visite les différents espaces de l’atelier du père Noël. C’est que c’est une véritable entreprise, avec un atelier couture, un espace dédié aux papiers cadeaux, un poste de contrôle, etc.
L’histoire est drôle, bien menée avec plein de clins d’œil sympa.
Sur chaque grande illustration, nous pouvons chercher le père Noël qui se cache, mais aussi les animaux qui accompagnent le professeur Goupil et autres lutins. Pour ces derniers, le niveau de difficulté est d’ailleurs assez élevé, tant les images sont riches et foisonnantes.
D’ailleurs, la dernière fois une petite fille a renoncé et m’a dit « sur la première page, j’ai pas trouvé le père Noël mais j’ai trouvé les trois brigands, ça vaut?
Ça vaut!
Vous y trouverez d’ailleurs pleins d’albums que vous connaissez, mais aussi un petit totoro très discret et sans doute bien d’autres références qui m’ont échappées.
On peut y passer des heures et, croyez-moi, il a un succès fou même en dehors de la période de Noël!
Matin rose, Elena Selena, Gallimard jeunesse, 2023, 27€90
Matin rose est un livre pop-up dont chaque page se présente comme un petit théâtre de papier, un décors en trois dimensions dans lequel le regard plonge pour fouiller la page.
Il y a beaucoup à voir, l’œil est d’abord accroché par les éléments du premier plan, fleur, papillon ou nuage, avant d’aller se perdre dans la profondeur, pour y trouver la petite fourmi ou les étoiles, là, tout au fond.
On n’y prête pas toujours attention à la première lecture mais chaque page est plus sombre que la précédente et le dégradé du bleu pâle au bleu nuit nous accompagne dans cette contemplation paisible.
Cet album est recommandé à partir de 4 ans. Je pense qu’avec un adulte attentif pour accompagner l’enfant, il peut être lu bien plus tôt. Mais il faudra s’assurer que la lecture tactile que peuvent en faire les enfants (vous le savez, les petits lisent avec leurs mains, voire leur bouche autant qu’avec leurs yeux et leurs oreilles) ne causera pas trop de dommages: le découpage d’une grande finesse rend chaque page fragile.
Le texte est court et poétique. Si vous avez l’occasion de lire cet album à un petit, soyez attentifs à son regard. Il est probable que le temps de la lecture à voix haute de chaque phrase ne soit pas suffisant pour qu’il ait fait le tour de l’image. Laissez leur le temps. Avec les plus grands aussi d’ailleurs, et vous même, n’hésitez pas à savourer chaque page.
On a tendance naturellement à tourner la page dès qu’on a lu le texte, alors que nos yeux ont balayé rapidement l’image.
Mais rien ne nous interdit un temps d’arrêt, un tout petit instant suspendu, pour mieux apprécier les nuages qui ont l’air de sourire ou l’harmonie des ronds dans la mare de nénuphars.
Écrire comme une abeille, la littérature jeunesse de la lecture à l’écriture, Clémentine Beauvais, Gallimard jeunesse, 2021
On dit parfois d’une illustration qu’elle est « comme un tableau ». Façon un peu maladroite d’évoquer sa qualité.
Du dernier ouvrage de Clémentine Beauvais, on dit qu’il se lit « comme un roman ». Histoire sans doute de souligner à quel point il est divertissant. Il est vrai qu’on l’ouvre pour apprendre les trucs et qu’on le dévore parce qu’il est drôle et qu’on veut connaitre la suite (si si).
Il faut dire qu’elle a une vraie plume et que la lecture de « Écrire comme une abeille » est des plus fluide.
Mais il y a aussi du fond, beaucoup. Elle parvient à transmettre sa fine connaissance de la littérature jeunesse et à nous donner des clés très utiles à sa compréhension et à son écriture.
Pour parvenir à ses fins, elle incarne son propos. Elle s’autorise la première personne du singulier, qui est généralement boudée dans les essais.
Elle se met en scène, à la fois narratrice et protagoniste du livre.
Et elle met en pratique sous nos yeux tous les conseils qu’elle nous donne. Elle aborde le rythme du récit? Ses phrases sont un parfait exemple des variations rythmiques possibles. Elle explique comment donner une irrépressible envie de lire la suite? Paf, elle nous colle un cliffhanger de folie! Elle nous explique ce qu’est un narrateur non fiable et elle même… Oserais-je le dire? Oui, elle même est une narratrice dont la fiabilité s’avère versatile. Et on en redemande!
Au point qu’on arrive à la fin du livre, chargé de pistes pour écrire un livre jeunesse mais aussi pour le retravailler en finesse, le présenter à un éditeur, négocier son contrat, bref, un véritable tutorat nous a été proposé.
Pour terminer un atelier d’écriture nous invite à prendre la plume immédiatement!
Franchement, j’ai jamais eu l’intention d’écrire un livre jeunesse mais en sortant de cette lecture, j’étais à deux doigts de m’y mettre! Si tel est votre projet, foncez, sans la moindre hésitation, il vous faut ce livre! Si ce n’est pas plus le cas pour vous que pour moi, vous pouvez aussi le lire pour mieux comprendre et analyser la littérature pour la jeunesse. Et passer un bon moment. Comme un roman on vous a dit!
(Je vous met quand-même une image de l’intérieur pour montrer qu’en plus la mise en page est aérée et très agréable à lire)
Petit-Biscuit, Karen Hottois, Marie Mirgaine, Albin Michel jeunesse, 2023, 17€90
Petit-biscuit est un ours, et quand vient l’hiver, les ours doivent rester au chaud dans leur tanière.
Mais le temps lui parait long, il a déjà tourné toutes les pages de son livre. Il songe alors à écrire une lettre au père-noël.
Son orthographe incertaine et son écriture laborieuse lui mettent le doute. Il ferait peut-être mieux de demander de l’aide.
Hop, il écrit une petite annonce pour recruter un secrétaire.
Un ver de terre à lunettes se présente. Il s’installe dans la tanière de Petit-Biscuit où, malgré sa petite taille, il prend pas mal de place. La vie à deux s’organise, Petit-Biscuit prend en compte les (nombreux) besoins de cet étrange secrétaire particulier (qui n’a pas d’autre nom que celui-là).
Mais il faut bien constater que pour ce qui est d’écrire la lettre au père noël, c’est un échec. Alors Petit-Biscuit a l’idée d’embaucher un secrétaire particulier pour le secrétaire particulier. C’est cette fois un coquillage papillon qui se présente.
En littérature enfantine, on repère généralement les illustrateurs, qui impriment vraiment leur style aux livres. C’est le cas avec ceux de Marie Mirgaine, qui use de papiers découpés pour créer des images personnages étrangement articulés que l’on peut identifier dans ses différents albums.
Pour les auteurs, c’est souvent plus difficile.
Pourtant, au fil des albums (une quinzaine) l’univers de Karen Hottois se déploie avec des constantes: des petits mondes tendres et denses, peuplés d’animaux anthropomorphes.
Elle y explore les relations entre les personnages, amoureuses ou amicales, et comment chacun trouve sa place dans la communauté, comment le collectif soutien l’individu.
Toujours avec une grande tendresse et dans des mondes pleins de petites inventions adorables.
Le duo autrice illustratrice fonctionne ici à merveille. L’incongruité d’un secrétaire qui n’a même pas de main est représenté avec humour par Marie Mirgaine qui le pare d’un rose fluo comme pour compenser sa petite taille. De même pour le minuscule papillon, bien nommé Jenesaispas, qui malgré sa timidité ne risque pas de passer inaperçu avec ses ailes lumineuses qui contrastent avec la grotte sombre et le pelage noir et blanc de Petit-Biscuit.
Plus qu’un album sur noël ou sur l’hiver, nous avons affaire à un album réconfortant sur l’amitié, l’accueil de l’autre, la rencontre.
Ulysse, Alexandra Pichard, les fourmis rouges, 2023, 16€50
Les bonhommes de neige savent-ils qu’ils sont voués à fondre très rapidement?
Ulysse, le protagoniste de cet album, en est d’autant plus conscient que l’enfant qui l’a fabriqué a légèrement manqué de tact en lui affirmant que la neige ne tient pas dans les grandes villes.
Pourtant, il est optimiste. Il pense que l’enfant va revenir et l’amener faire un tour dans la ville.
Bon.
Là, l’enfant s’est éloigné.
Et la nuit tombe.
Mais quand il reviendra, demain sûrement, ils pourront aller au café. L’enfant prendra un chocolat chaud, parce que c’est ce que font les enfants. Puis il devra aller à l’école. Et Ulysse continuera sa promenade.
Alors qu’il est parfaitement immobile, comme le sont les bonhommes de neige, Ulysse se projette dans une vie possible, une vie vouée à être courte mais tout de même intense, au rythme de la ville (les connaisseurs y reconnaîtront Strasbourg).
L’image le montre vivant des aventures, alors que le texte nous rappelle qu’il est toujours abandonné sur son trottoir. Sa vie fantasmée inclue une histoire d’amour également brève et douce.
Il fond d’amour dans sa rêverie comme il fond sur son coin de rue, et finalement il se sent… Bien.
J’avais déjà repéré dans un précédent album de cette autrice un tropisme pour les histoires décalées, un brin absurdes, portées par des images aux couleurs franches, façon pochoir ou tampon.
Notre bonhomme de neige y apparaît donc le plus souvent en creux, sa forme blanche prenant sens par les deux yeux et la carotte qui lui sert de nez. Il est forcément figé, avec ses branches mortes pour bras, et aucune autre articulation que son cou. D’où un savoureux décalage lorsqu’il nous affirme avoir le sens du rythme!
Quand l’histoire ne se passe pas tout à fait telle qu’il nous la raconte, l’image nous le montre tandis que ne parvient pas à (se) nous le cacher. Alors il dit juste:
Bon.
Voilà. C’est une petite histoire de vie. Ni vraiment triste ni vraiment gaie, qui ne se termine ni vraiment bien ni vraiment mal. Une petite histoire qu’on a plaisir à lire et relire, et c’est là l’essentiel.