Le bon lit douillet, Florence Desnouveaux, Marion Piffaretti, Didier jeunesse, à petits petons, 2022, 13€10 La mer au loin, des animaux souriants plein le jardin, une grand-mère accueillante, dès la première page cette histoire fleure bon les vacances à la campagne, on imagine déjà les cache-caches sous le saule pleureur et les bouquets de fleurs d’hortensias.
Peut-être que maman est repartie travailler, en tout cas c’est Grand-mère qui couche petite fille dans le bon lit douillet. Elle éteint la lampe de chevet (clic) et tire la porte (iiii). Mais Bououououhhh, Petite Fille pleure, elle à peur. Grand-mère, pleine de douceur, rallume la lumière (clic), va chercher la chatte, et la dépose sur le lit de Petite Fille pour lui tenir compagnie, avant de refermer la porte (iiii)
Mais Miaououou, la chatte miaule, bouououhh, Petite Fille pleure, elles ont peur. Sont alors appelés à la rescousse le chien, la chèvre et même le poney, avec tout ce monde dans le lit, plus de raison d’avoir peur. Mais cette fois, c’est un grand crac qui se fait entendre, le lit, tout douillet qu’il est, n’est pas fait pour recevoir tant de monde. Heureusement, Grand-mère à plus d’un tour dans son sac et dans sa boite a outils!
Avec une belle palette de tons bleutés pour la nuit et des tonalités plus chaudes pour les personnages, l’image instaure une ambiance paisible et douce, et j’avoue que je craque pour les cheveux roses de la grand-mère, qui lui accentuent la douceur de son visage.
Les bambins adorent cette histoire en randonnée rythmée par de nombreuses onomatopées, qu’ils reproduisent dans une joyeuse cacophonie. Comme il est d’usage dans la collection à petits petons, le texte est pensé pour être lu à voix haute et chatouiller agréablement les oreilles des petits, qui peuvent donc apprécier cette histoire avant même de la comprendre. La thématique de la peur y est survolée avec beaucoup de douceur, l’humour et le rire prennent le dessus.
Les images de Lou et Mouf, Jeanne Ashbé, Pastel, 6€80
Jeanne Ashbé est toujours très attentive aux bébés, elle les observe beaucoup et cherche à faire des livres qui les amusent tout en étant adaptés à leurs besoins en terme de développement.
Pour cette petite série d’albums sans texte, elle a souhaité favoriser le dialogue entre les tout-petits et les adultes qui les accompagnent.
Les thèmes choisis sont les moments ordinaires et merveilleux qui sont fondateurs pour les jeunes enfants: Le matin, le soir, le bain, le repas, le voyage, le zoo, le jardin et la mer. Chaque double page met en vis-à-vis un objet ou un animal en gros plan et une scène d’ensemble. L’attention des enfants peut circuler de l’un à l’autre, faire des liens.
Les enfants les plus habitués reconnaîtront Lou et Mouf, personnages récurrents dans l’œuvre de l’autrice: un petit enfant et son doudou, dont la vie quotidienne est montrée avec justesse au fil des albums. (On note que Lou est un prénom mixte, ce qui permet à chacun d’y voir un garçonnet ou une fillette).
Avec son petit format et ses pages cartonnées, la série Les images de flaps ou de volet à soulever ici). Les images sont très lisibles, et il y a un joli travail sur les motifs qui leur donne de la profondeur. L’absence de texte est destinée à laisser la parole aux quel que soit sa langue.
Dans mon travail, ces livres sont de précieux alliés, ils sont accessibles et donnent lieu à de riches échanges. Je suppose que c’est aussi dans l’optique de les rendre accessibles au plus grand nombre que le coût est si bas, c’est rare de trouver de chouettes livres à moins de 7 euros.
Je les trouve vraiment jolis, agréables à regarder et ils répondent parfaitement à l’objectif fixé, ils sont supports d’échanges et de connivence entre adultes et enfants et parfois en collectivité pour les enfants entre eux également. Si vous êtes (comme beaucoup d’adultes) mal à l’aise avec les albums sans texte, vous pouvez trouver des pistes d’utilisations dans cet article, et au pire faites confiance aux enfants, ils sauront vous guider!
La petite sœur est un diplodocus, Aurore Petit, Les fourmis rouges, 2022, 15€50
Ce nouvel album d’Aurore Petit est le dernier opus de ce qui semble être une saga familiale et intimiste.
Après Une maman c’est comme une maison, centré sur la relation mère fils puis Bébé ventre, dont le narrateur était l’enfant à naître, nous avons ici le point de vue de l’aîné quand le nouveau bébé arrive dans la famille.
Et nous retrouvons les éléments qui ont fait le succès des deux premiers albums: une histoire intime, racontée avec délicatesse et une économie de mots, des illustrations agréables et très toniques, avec beaucoup de tons fluos.
Le grand frère est le narrateur, pourtant le texte ne détaille pas ses pensées, il est au contraire assez factuel et parfois même l’histoire se passe totalement de texte pendant plusieurs pages. Je trouve cela tout à fait approprié, les jeunes enfants n’étant généralement pas capable de verbaliser les émotions qu’ils ressentent. Ici on peut comprendre ce que le petit garçon éprouve à travers des images très parlantes, c’est suffisant (je ne suis pas fan de cette habitude de vouloir absolument mettre des mots sur tout, tout le temps). Quand il a exprimé son désaccord, il n’est pas non plus noyé de mots par les parents, il est juste câliné, ce qui ma foi semble assez efficace.
Et il s’il peut affirmer que la petite sœur est un diplodocus, c’est que manifestement elle prend beaucoup de place, pour une si petite personne!
Dépêche toi Alphonse Aubert, Gunilla Bergström, l’étagère du bas, 2022, 12€ Oh joie, oh bonheur, un nouvel opus de cette réjouissante série est sorti cette année!
Nous y retrouvons le petit garçon à tête ronde et son flegmatique papa, qui, cette fois, risque bien de perdre patience!
Parce que voilà, c’est le matin, il faut se préparer pour l’école, mais le petit garnement d’en fait qu’à sa tête et a toujours une activité plus urgente. Alors que son père insiste avec ses « Dépêche toi, Alphonse! », lui enfile un pull à sa poupée, répare une petite voiture cassée, lit un livre sur les reptiles. Que d’occupations absolument nécessaires avant de partir pour la maternelle, vous en conviendrez!
Dans la cuisine, le ton commence à monter, papa n’en peut plus d’attendre son fils et il se crispe à chaque fois qu’il entend une réponse qui commence par « Il faut juste que je… »
Évidemment, le temps passe, l’horloge représentée sur les pages de texte est implacable, alors que l’histoire a commencée à 6 heures il est presque une heure de plus quand Alphonse entame son petit déjeuner. Mais il a une surprise pour papa, et bientôt la situation va s’inverser.
Quelle fripouille cet Alphonse!
Le trait tremblant, les images décalées, l’humour et surtout la situation, tellement proche de la réalité, me plaisent toujours beaucoup dans les albums de cette série.
Celui-ci peut être un prétexte pour parler de l’école, de la routine matinale ou même pour apprendre à lire l’heure (on retrouve l’horloge et ses aiguilles presque à chaque page), si vous voulez vraiment rentabiliser chaque lecture.
Mais je vous invite plutôt à le lire juste pour passer un bon moment, ce qui est tout de même la fonction première de la littérature
L’arche que Noé a bâtie, Henri Galeron, les grandes personnes, 2022, 18€
L’album débute quand l’arche est déjà prête. On s’attend à y voir monter les couples d’animaux, mais ce n’est pas le propos du livre. Devant le bateau, un sac de riz. Le museau dans ce sac, un rat. Le rat qui a grignoté le riz qu’il faut embarquer sur l’Arche que Noé a bâtie.
Voici la chouette, qui a chahuté le rat, qui a grignoté le riz qu’il faut embarquer sur l’Arche… Vous la voyez venir la randonnée à accumulation?
En effet vont se succéder divers animaux, chacun interagissant avec le précédent. Le texte grandit donc au fil des pages. Et les pages elles même grandissent, pour accueillir le texte mais aussi les différents animaux. Après la chouette voici le chat, le pélican, le sanglier… Chacun est plus imposant que le précédent et rapidement une joyeuse confusion règne entre les animaux.
Alors que le texte garde sa forme très structurée, avec la reprise systématique des mots des pages précédentes, l’image devient rapidement loufoque, contrastant vivement avec le calme de la première page.
Alors que la petite ménagerie est en effervescence, voilà Noé lui même qui débarque dans son bleu de travail (ben oui, c’est un bâtisseur n’oublions pas). Va-t-il mettre bon ordre là dedans afin de pouvoir embarquer sereinement? Manifestement, ce n’est pas son intention! Qu’importe tant qu’il y a de la joie!
Je suis toujours une fan du travail d’Henri Galeron, ses illustrations sont pleines d’humour, on y sent très souvent une influence surréaliste.
La forme (des pages cartonnées épaisses qui grandissent au fil de la lecture) est en parfaite adéquation et rend l’objet agréable à toucher (et très solide). Les animaux ont des postures cocasses et l’œil expressif.
D’ailleurs le singe que l’on voit sur la couverture, avec sa posture qui évoque le penseur de Rodin et son sourire malicieux est tout à fait emblématique de la suite.
Dans une forêt de papier, deux tatous vivent au rythme de leur musique : ta-TOU, tou-TA, ta-TOU, TOU-ta. Derrière eux, les arbres forment un camaïeu de gris, la forêt n’est pas inquiétante mais tout de même un peu terne. Quand débarque un chat, qui produit sa propre musique cha-cha-CHA! cha-cha-CHA! Il est joyeux, plein d’entrain et se détache sur la page grise par son pelage orange. Il danse, accompagné de ses maracas. Ce qui n’est pas du tout au goût des tatous, qui le rembarrent avec une certaine brutalité « Pas de ce tintamarre chez nous! »
En s’éloignant, le chat nous adresse un regard très expressif, à faire pousser des soupirs de quoi inspirer de la pitié même au plus insensible des lecteurs! Mais les tatous y sont indifférents, et ils reprennent leur rengaine rapidement. Jusqu’à l’arrivée d’une mouette jaune. Elle souffle dans une trompette mais le mou-ouêêêT qu’elle produit ne sied pas du tout à nos tatous, dont on aura compris qu’ils ne sont pas un modèle d’accueil de l’autre ni de tolérance à la différence! La mouette s’éloigne, la tête haute et le bec fier. Vient ensuite un duong (si, si, ça existe) mais son son est également rejeté, puis c’est au tour du singe.
Vous l’aurez peut-être deviné, les animaux mélomanes éconduits forment un groupe dont la musique va attirer l’attention des deux désagréables tatous. Et comme ils sont sympas, eux, ils reçoivent les deux rabat-joie dans leur groupe.
L’histoire pourrait se terminer ici, mais de nouveaux protagonistes vont arriver et créer la surprise, avant la chute et la fin ouverte, que chaque lecteur pourra donc interpréter à sa façon, selon son sens de l’humour (j’ai bien ma petite idée sur ce qui se passe une fois le livre refermé, mais il parait que ce n’est pas correct d’imposer son point de vue).
Je vous conseille vivement de vous entraîner un peu avant de lire Bonogong à des enfants, pour que les bruits produits par les animaux ne cassent pas la fluidité du texte. Une fois qu’on a trouvé le rythme, ça va tout seul et son peut savourer les images (un petit théâtre de papier photographié) et le texte qui n’est pas bavard et agréable en bouche, avec un jeu sur les adjectifs que les tatous donnent à chaque musique (sons qualifiés tour à tour de « étrange et inconnu », « bizarre et farfelu », « curieux et malvenu », « loufoque et saugrenu » etc)
Une poule sur un mur, Mathis, Aurore Petit, Milan, 2020, 10€50 Bon, d’accord, je ne vais pas présenter toute la série de livres à chanter émanant de ce duo d’auteur, Mais après tout, ce n’est que le deuxième dont je parle ici alors j’ai le droit. (Et puis c’est mon blog, je fais ce que je veux) Certes ils reposent sur le même principe, une chanson connue, prolongée au gré de l’imagination de l’auteur et illustrée avec des couleurs fluo par l’illustratrice, mais ils son tous différents et celui là se distingue par une toute petite touche d’humour scato qui ne laisse pas les enfants indifférents .
Oui, car ici il y a une poule qui pète et ça, vous en conviendrez, c’est marrant. En tout cas, pour un enfant c’est marrant. Ne niez pas, je les vois se gondoler de rire dès qu’il y a une allusion au caca dans un album.
Il y a aussi une poule qui fait peur à un chat, et justement ce chat (le texte ne le dit pas mais les enfants le voient) faisait peur au poussin. Nous sommes donc bien contents qu’il file sans demander son reste.
On pense parfois que les livres servent à endormir les enfants. Une poule sur un mur me semble plus propre à les réveiller, les éveiller même, puisqu’il se prête parfaitement à une lecture chantée avec des bébés, qui seront sensibles à ce fluo lumineux et à ce rythme endiablé. (concernant le fluo, c’est toujours difficile à rendre à l’écran, vous devez donc me croire sur parole)
3,2,1, Mari Kanstad Johnsen, Cambourakis, 2021, 18€
C’est l’été, les vacances sont là. Les camarades d’Anna ont tous de super projets. Mais elle, c’est chez sa grand-mère qu’elle passera le mois. Et même pas moyen de payer un billet d’entrée au zoo, manifestement Grand-mère est fauchée.
Dans une boutique, la fillette repère une peluche de lapin super chouette. Mais il coûte 5 euros. Alors Grand-mère fait une proposition à Anna. Pour se l’offrir, elle devra s’occuper des maisons vides pour les vacances. 5 maisons, à raison d’un euro pour chacune d’elles, le compte y est. Dans la première, il faut prendre soin d’un serpent, dans la suivante de deux lapins, de trois oiseaux, quatre tomates et enfin cinq poissons. Fastoche, Anna est enthousiaste. Elle se voit déjà à la rentrée montrant fièrement sa peluche durement gagnée (on comprend qu’elle y trouve un certain réconfort et même qu’elle espère que son lapin éclipsera les récits trop idylliques des vacances des autres mouflets, et franchement, on la comprend un peu).
Mais, ce n’est pas si simple quand on est encore petit d’assumer toutes ces responsabilités. Anna fait de son mieux mais enchaîne les bourdes, qui finalement risquent de lui coûter beaucoup plus cher que son maigre salaire…
Perso je trouve la grand-mère super badasse avec sa silhouette massive, son béret sur la tête et sa propension à vouloir juste bouquiner tranquillement dans le jardin. Elle regarde Anna se planter sans faire de commentaire, il faut bien apprendre. Mais quand elle annonce à la mouflette que son salaire sera en négatif, j’avoue avoir pensé un instant qu’elle poussait la pédagogie un peu loin. Ce qui semble aussi être l’avis de sa petite fille, qui se roule par terre de frustration à l’idée qu’elle ne rendra pas ses camarades jaloux. À moins que?… L’histoire se termine bien pour la fillette, mais à bien y regarder on peut se demander si elle a vraiment retenu la leçon…
Je trouve cet album très drôle, léger et plaisant, j’apprécie en particulier qu’il n’ait pas de visée pédagogique trop appuyée, tout en étant un livre à compter. Il a un petit côté subversif que l’on retrouve souvent chez les auteurs suédois qui n’est pas pour me déplaire.
C’est un catalogue qui se veut inclusif (à défaut d’être exhaustif, ce qui semble compliqué sur ce sujet) des différents schémas familiaux possibles.
Ainsi nous y trouvons des familles de deux personnes et d’autres très nombreuses, parfois recomposées.
Celles avec deux papas ou deux mamans sont aussi présentes. Mais encore d’autres, plus inattendues. Les petits personnages ont tous la bouille ronde, ce qui me fait penser à certains jouets en plastiques de mon enfance. Mais ils ont différentes couleurs de peau, des caractéristiques variées. Le texte est poétique et minimaliste, il met l’accent sur la chaleur des sentiments et montre la famille dans ses aspects les plus positifs: un espace de sécurité et de tendresse. L’autrice joue parfois avec les possibilités offertes par la double page pour montrer tantôt deux familles différentes en vis-à-vis, tantôt une seule matérialisée par une rencontre au niveau du pli du livre.
Les enfants sortent toujours de cette lecture rassurés et heureux. Je l’utilise depuis quelques mois dans le cadre de mon travail pour l’association LIRE et il est très apprécié, à la fois par les parents, les enfants et les professionnels de la petite enfance. Il me semble que c’est exactement le type d’album à avoir dans un fonds professionnel, parce qu’il contribue à rendre visible une réalité, qui est la diversité des familles réelles.
Cotcotcot, Benoît Charlat, l’école des loisirs, 2022, 10€50 J’aime bien les livres qui fonctionnent à l’économie de moyen avec un ressort comique efficace, presque implacable. C’est incontestablement le cas de celui là.
D’abord, il y a un œuf, posé sur la page verte.
Sur la gauche, une poule passe la tête. Caquetant à qui mieux mieux, elle s’approche de plus en plus jusqu’à s’installer, pof le derrière sur l’œuf, ça y est, elle couve, tout en nous regardant d’un œil satisfait.
Mais voilà qu’un nouveau cotcotcot se fait entendre, sur la droite cette fois. La nouvelle poulette semble également revendiquer la propriété de l’œuf.
C’est fou tout ce qu’on peut raconter avec des caquètements, un fond uni et deux poules croquées au trait noir. Leurs postures, leur regard, leur place dans la page suffisent à porter le récit et l’histoire tient parfaitement la route. Il faut juste s’assurer qu’elle soit racontée par un adulte qui n’hésite pas à jouer un peu les cot cot et autres codec. C’est qu’autour de l’œuf, ça discute sec, d’ailleurs on en vient rapidement aux mains.
Alors ok, pour nous adultes, la fin n’est pas tout à fait inattendue.
Mais qu’importe. D’abord, pour les enfants elle l’est, et surtout, le plaisir et l’humour sont présents tout au long de l’album, qui se savoure comme une mini pièce de théâtre, dont la mise en scène impeccable ravit les petiots qui en redemandent!
Le genre d’album qu’on peut lire en boucle et qui peut également servir de livre accroche pour attirer les enfants un peu moins lecteurs.