J’avais adoré cet album, pour son humour, sa malice, et le trait si expressif des félins. Et bien sûr, j’avais noté qu’il était idéal pour les enseignants qui veulent travailler certaines notions (numération, couleurs).
Hé bien Emily Gravett revient, avec un nouvel album sur les chiens, qui peut également servir de support à de multiples apprentissages tout en étant vraiment drôle, tendre et plaisant à lire.
Ce n’est pas si courant ce mélange réussi de livre ludique et éducatif.
Ici il y a donc 10 chiens et 10 saucisses, ce qui, a priori ne devrait pas faire d’histoire. Mais 1 chien les veut toutes pour lui, et 9 chiens en voudraient bien aussi. C’est parti!
La répartition chien/saucisse va varier au fil des pages et permettre de faire des comparaisons de grandeur, quand par exemple 3 chiens ont plus de saucisses que les 7 autres. Mais aussi de jouer à chercher dans l’image les cabots facétieux ou les saucisses cachées. Un autre aspect qui intéresse beaucoup les enfants est de savoir si « c’est juste ou pas » et ils ne se privent pas de faire des reproches aux protagonistes.
En fin d’histoire tout rentre dans l’ordre. Enfin disons que tous les toutous ont obtenu leur juste part. Parce que pour ce qui est de l’ordre, c’est pas tout à fait ça. Ils ont tellement chahuté là-dedans que c’est un joyeux bazar, mais les enfants en sont généralement ravis.
Une réussite totale, qu’on a grand plaisir à lire à voix haute.
À la recherche du petit sommeil perdu, Julia Chausson, A pas de loups, 2023, 16€
Parfois, ce n’est pas une mince affaire que de trouver le sommeil.
Et les enfants le savent bien, eux qu’on met au lit quand nous, adultes, sommes fatigués!
Souvent, ils tournent sous la couette, à la recherche du petit sommeil perdu. Tout comme l’enquêteur, qui organise les recherches dans le potager.
Ici il y a une caverne bien trop grande, un joli panorama, une fleur poilue, un radis et bien d’autres curiosités.
Mais de petit sommeil point.
Il cherche tant et tant que les yeux lui piquent, mais il ne trouve guère. Le voilà fâché tout rouge aux côtés d’une tomate, la larme à l’œil en compagnie d’un oignon, tout dépité mais toujours sans sommeil.
Jusqu’à ce qu’il trouve un petit nid douillet, comme un lit rien que pour lui.
Le texte rythme l’album et on a plaisir à suive la silhouette de l’enquêteur au milieu des légumes.
Le potager est sublimé par les gravures de Julia Chausson, que vous connaissez peut-être déjà pour sa formidable collection de comptines. Les fruits et légumes sont parfois montrés en coupe ce qui permet d’en voir l’intérieur. Les enfants auront plaisir à reconnaître un poivron ici, un épis de maïs là. Et même une petite coccinelle, qui joue les intrus.
Loin de moi l’idée qu’il faut absolument des albums cartonnés pour lire avec les bébés. Je dis même régulièrement en formation qu’il y a plein de livres en papier adaptés avec les nourrissons, qui ont un temps d’attention parfois long et qui n’abîment pas tellement les livres.
Ça se complique avec les enfants qui commencent à se déplacer, mettent les livres dans la bouche et veulent tourner les pages eux-mêmes!
Cependant, parce que c’est pratique, parce que c’est un peu moins cher et parce que ça permet de garder les mêmes livres quand les enfants grandissent, on me demande très régulièrement des albums aux pages cartonnées.
Les éditeurs connaissent bien cette demande et rééditent souvent des livres à succès dans ce format (citons par exemple ceux de Chris Haughton ou encore le très réussi Bébé au marché).
Dans les sorties récentes j’ai repéré entre autre ces quatres petits albums que j’aime bien lire avec les bébés, qui sont agréables en bouche, et qui plaisent aussi aux adultes qui accompagnent les enfants (ce qui, vous le savez, est un critère important dans mon travail)
C’est le troisième album de ce format proposé par l’atelier SAJE et, comme les deux précédents, il se reconnaît à son style épuré, ses couleurs vives, ses lignes simples. Les pages sont animées (on peut faire tourner le petit hérisson ou le cacher dans le feuillage) mais tout de même solides. Et ici, petit intérêt supplémentaire, le texte est une comptine (Qu’est-ce qui pique pique pique, qu’est-ce qui pique quand on le prend? C’est mon hérisson mesdames, c’est mon hérisson. Ceux qui la connaissent l’ont désormais dans la tête pour la journée. De rien.)
Un livre accroche idéal, qui attirera l’oreille comme le regard.
C’est parti, petite souris, Emmanuelle Halgand, Motus, 12€
C’est parti petite souris joue également sur des lignes pures, et des images très lisibles. Pas de comptine ici mais un texte très court, celui prononcé par une petite souris malicieuse qui n’hésite pas à aller voir les animaux les plus imposants. Mais elle file si vite de pages en pages qu’ils n’ont même pas le temps de réagir, hop, la voilà partie.
L’histoire de cette petite souris qui n’a pas froid aux yeux ravit les petits, tout comme la diversité des animaux représentés.
Hi! Colette, Catherine Louis, HongFei, 10,90
Hue, Oh, Eh, Ah, Hi, voilà le tout dernier de la série de Catherine Louis!
Comme les autres, il est illustré par des gravures où le noir et blanc domine. Ici le rouge surgit en fil d’album.
Bien qu’il n’apparaisse pas sur la couverture le héros de ce petit album est le chat noir, qui va retrouver la petite Colette pour des jeux pleins d’imagination. C’est simple et joli, le contraste noir, blanc et rouge est toujours très efficace pour lire avec les bébés, il attire leur regard immanquablement. D’ailleurs, cette petite collection a déjà montré ses qualités puisque ce sont des livres qui sont très souvent choisis par les petits.
L’escapade, Marine Schneider, Cambourakis, 10€
Du noir et blanc ici encore (nous savons combien les bébés sont sensibles aux contrastes) à l’exception de la couverture et d’un mot sur chaque page écrit en orange.
Bravant la pluie, un narrateur invisible décide de faire une petite promenade. Il enfile ses bottes et hop, dehors. Il voit des animaux, observe la nature. L’image montre un focus sur un élément important, montré en noir sur fond blanc. C’est très joli et efficace.
Dans l’univers, il y a mon papa, Gigi Bigot, Julia Spiers, Didier jeunesse, 2023, 14€
« Dans l’univers, il y a la terre. Sur la terre, il y a un pays. »
Cette structure narrative issue du poème Dans Paris il y a, d’Eluard, on la retrouve dans de nombreux albums.
Sans doute parce qu’elle permet de faire un focus sur un sujet qui préoccupe l’enfant.
J’aime voir la façon dont auteurs et illustrateurs s’en emparent pour en faire une œuvre singulière, qui reflète leur univers.
Ici, il y a les gouaches de Julia Spiers, qui attirent immanquablement le regard.
Au texte, Gigi Bigot joue sur l’effet de zoom et dé-zoom pour évoquer l’éloignement des êtres et du rapprochement des cœurs.
Car dans les rêves d’un enfant qui est ici, il y a un père qui est là-bas. Et dans ceux de ce papa qui est loin en mer, il y a son p’tit gars.
Les illustrations, qui mêlent l’étrangeté du rêve et le réalisme du quotidien abolissent les distances. Père et fils, réunis sur la couverture, sont ensemble grâce aux rêves qu’ils font l’un de l’autre.
Le thème de la séparation et de l’amour père enfant, mais aussi la douceur poudrée des illustrations et le rythme du texte rendent cet album très accessible aux tout petits. L’universalité du sujet attirera également les plus grands. Et le charme infini des images en font également un régal pour les adultes.
Dans l’univers il y a mon papa aurait donc toute sa place dans la sélection des cadeaux de naissance!
Trois, Per Nilsson, Lisen Adbage, l’étagère du bas
C’est un mouvement encore un peu timide mais les albums suédois commencent a arriver en France et la maison d’édition l’étagère du bas en particulier a à cœur de traduire cette littérature.
On reconnaît ici style coloré et vif de l’illustratrice Lisen Adbage, qui se prête parfaitement au texte de Per Nilsson.
C’est l’histoire de trois enfants, qui tous se prénomment Jonatan. Heu, non, il n’y en a qu’un en fait. Mais il a trois yeux. Ah non, bien sûr, des yeux il n’en a que deux. Par contre, il a trois derrières.
Il y a deux choses que les enfants aiment bien à la lecture de cet album. Entendre l’adulte lecteur répéter « je me trompe » très régulièrement (pour une fois qu’un adulte admet son erreur avec tant de facilité) et énumérer les différentes parties du corps (surtout le derrière, qu’il y en ait un seul ou plusieurs, cela les ravit)
Ah, mais non, je me trompe encore! Il y a une autre chose qui fait plaisir aux enfants. la chute qui satisfait pleinement leur tendance auto-centrée. Car si Jonatan n’a pas trois jouets mais des milliers, pas plus qu’il n’a trois nez ou trois mots à son vocabulaire, il a bel et bien trois ans, et ça c’est un âge parfait pour ce petit garçon unique au monde.
Alors que le rythme de lecture de cette histoire est très rapide, chaque relecture permet de mieux apprécier des petits éléments savoureux.
La tentative de Jonatan, fesses à l’air, d’aller sur le pot, déroulant des mètres de papier. le chien qui lui lèche la frimousse. Et la maman, peu mentionnée dans le texte mais très présente dans les images.
Et moi j’aime le ton général réaliste, pas du tout édulcoré de l’ensemble.
Quel train incroyable! Tomoko Ohmura, l’école des loisirs, 2023, 14€
J’ai toujours beaucoup aimé les albums de Tomoko Ohmura mais il faut avouer que ces derniers temps, je commençai à trouver qu’elle ne se renouvelait pas assez. Certes, les enfants, eux, ne connaissent pas forcément ses précédents albums mais moi je me lassais de toujours retrouver la même structure à peu de chose près.
Mais ce nouvel album m’a énormément plût. On y retrouve les animaux dont l’autrice est coutumière, dessinés d’un épais trait noir, très lisibles.
Mais aussi des humains, en particulier Léo et sa mère, qui attendent le train.
L’annonce traditionnelle prévient qu’un véhicule va passer et qu’il faut s’éloigner de la bordure du quai. Il est tellement rapide que seul Léo semble avoir remarqué qu’il est peuplé de bien étranges voyageurs. Il en fait la remarque à sa mère qui n’a rien vu, mais déjà un autre train traverse la page, tout aussi bizarre!
Sur le quai les passagers sont de plus en plus nombreux, mais toujours trop occupés pour remarquer que chaque train est occupé par une catégorie d’animaux.
Le lecteur à qui on lit cet album partage donc ce secret avec le protagoniste, et il a un sacré avantage: lui peut faire un arrêt sur image et regarder longuement les trains qui se succèdent. Ils portent tous le nom de leur destination (ville ailée, rivière marine…) et il y a beaucoup de choses à voir à travers leurs fenêtres!
Arrive enfin celui que les gens attendent, et quel incroyable train! Je vous laisse découvrir la suite.
Cet album joue sur l’effet de surprise, un rythme parfaitement maîtrisé et de nombreux détails signifiants que l’on découvre au fil des lectures. Je suis certaine qu’il aura un très grand succès auprès des enfants.
Ah, le sommeil des enfants, c’est souvent toute une histoire et nombreux sont les albums qui se préoccupent de faire dormir nos chers bambins (avec un succès relatif d’ailleurs)
Mais pour certains mouflets, le plus dur n’est pas de s’endormir mais bien de se lever.
C’est le cas de fillette. Bien pelotonnée sous la couette elle n’entend même pas maman qui tente de la réveiller. Les chatouillis, le soleil qui rentre par la fenêtre, rien n’y fait.
Alors maman demande de l’aide à chat. Nouvel échec, non seulement il ne parviens pas à la réveiller mais il s’endort à ses côtés.
Maman fulmine, elle est en retard au travail, il faut que fillette se lève!
À son tour, le chien est appelé à l’aide, puis le coq. Mais bientôt les voilà tous endormis. Il faut reconnaître que le lit semble tellement confortable, avec ses oreillers moelleux et colorés, difficile de résister.
Quand à maman, elle devient chèvre, littéralement.
C’est pas tout ça mais elle doit vraiment aller au boulot, ça commence à durer cette histoire!
Quand enfin notre héroïne se réveille (je vous laisse découvrir ce qui aura finalement raison de son sommeil), elle aussi est pressée. Pourtant c’est samedi, il n’y a pas école aujourd’hui.
On comprend en fin d’album quelle solution cette maman (visiblement célibataire) a trouvé pour faire garder sa fillette le samedi. Une fin qui joue sur un double registre, celui des contes et celui du quotidien très réaliste, et le mélange fonctionne assez bien.
Je suis assez sensible à cette mère qui perd patience tout en tentant de rester assez cool avec sa môme, sans arriver en retard au boulot. J’ai un sentiment de familiarité qui me touche…
La chute nous incite à changer de regard sur un personnage emblématique de la littérature enfantine. C’est peut-être bien là le véritable propos de l’album: nous défaire de nos représentations toute faites.
Un monde de plantes: secrets et merveilles botaniques, Matthew Biggs, Lucile Perini, Phaidon, 2023, 24€95
Matthew Biggs (jardinier bien connu des Américains pour ses passages à la BBC) propose ici aux enfants de découvrir la richesse et la diversité des plantes qui recouvrent notre planète.
Ce faisant, il évoque leur environnement (le livre est divisé en six grandes parties, chacune concernant un climat en particulier), leur mode de reproduction, leur utilité, leurs rapports avec la faune environnante.
Un monde de plantes est un documentaire très précis, au format généreux, dans lequel adultes et enfants trouveront une multitude d’informations parfois très étonnantes.
Pour chaque climat plusieurs régions sont montrées avec à chaque fois une plante particulière mise en avant. Ainsi, pour le climat tropical, dans la mangrove, c’est le palétuvier rouge, dans le climat tempéré pour les prairies d’Amérique du Nord, c’est la plante boussole qui a été choisie.
Les grandes illustrations de Lucille Perini montrent chaque plante dans le détail mais aussi des scènes d’ensemble, où le paysage se déploie sur la double page.
Enfin, on trouve aussi des explications sur l’usage de certaines plantes. Saviez-vous par exemple que le bois de panama était utilisé pour faire des vaccins?
En fonction de ses appétences, chaque lecteur, petit ou grand, pourra trouver ce qui l’intéresse dans ce gros livre.
Moi j’ai particulièrement apprécié les grandes illustrations aérées où le texte ne sature pas l’image, comme ça arrive parfois.
Comment poussent les pastèques, Eizô Hirayama, les grandes personnes, 2023, 18€
Il n’y a pas à dire, le noir et blanc donne toujours une certaine classe aux illustrations.
On peut s’étonner de ce choix pour un album sur la pastèque, tant ce fruit se caractérise graphiquement par le contraste du vert de l’extérieur et du rouge de l’intérieur, rehaussé par les graines noires.
Et pourtant, cela fonctionne bien et l’ouvrage est très beau.
Il raconte avec précision le cycle de vie de la pastèque.
Les insectes ont bien sûr leur rôle à jouer. On peut les repérer dans l’image, à condition d’en faire une lecture attentive (ce que font les enfants, ils sont très doués pour voir le détail qui nous avait échappé)
Après la naissance et la croissance du fruit il est cueillit et dégusté par un gourmand invisible. Une nouvelle graine promet une prochaine pousse. Le texte, concis et descriptif fait de Comment poussent les pastèques le plus poétique des documentaires.
Publié pour la première fois au Japon en 1974, cet album frappe par la force de ses illustrations, qui n’ont rien de désuets et la qualité de son texte, épuré et agréable à lire à voix haute.
La pyramide de Nola, Marie Barguirdjian, Claude K. Dubois, éditions d’eux, 2023, 17€
Depuis que la mode est aux livres sur les émotions, auteurs et éditeurs s’emparent du sujet avec plus ou moins de bonheur.
En discutant avec les parents et les professionnels qui plébiscitent ce type d’ouvrage, je comprends qu’ils cherchent avant tout des livres sur les émotions négatives, dans l’idée d’en amoindrir les effets. Faire en sorte que l’enfant ait moins peur, qu’il soit moins triste et surtout, qu’il soit moins colérique (plus grand monde n’ose parler de caprice mais l’idée est bien d’éviter les crises des mouflets).
Je comprends bien l’idée. Personne n’aime voir son enfant trembler de colère. Mais je doute fort que la solution réside dans la littérature, et d’ailleurs, je doute fort qu’on puisse obtenir d’un enfant qu’il ne soit jamais en colère. Et est-ce bien souhaitable?
Bref, je l’ai déjà évoqué et je pense que je suis loin d’avoir fait le tour du sujet, j’ai une relation ambiguë aux livres qui abordent cette thématique.
De temps en temps, je tombe sur un album pépite, qui me semble traiter le thème de la colère enfantine avec justesse précision, tout en étant parfaitement à hauteur d’enfant. C’est le cas avec La pyramide de Nola.
C’est l’histoire d’une petite fille qui construit tranquillement une pyramide sur la plage. Elle n’a besoin de personne, si ce n’est de la complicité de Max, son doudou, qui a le bon goût d’adhérer à toutes ses propositions.
Mais son frère, puis son père, et enfin sa mère et même le bébé, se joignent à elle, sans jamais avoir demandé son consentement. Chacun y va de son conseil et se met à l’ouvrage. La pyramide de Nola devient le château de toute la famille.
Contrariée, elle s’installe un peu plus loin pour recommencer. Mais c’est qu’ils ne veulent pas la laisser jouer en paix, ils veulent absolument participer, persuadés que c’est sympa et qu’elle va apprécier.
C’est pas qu’ils sont méchants, maltraitants ou quoi que ce soit. Ils sont même manifestement pleins de bonnes intentions. Mais visiblement, ils ne sont pas accordés à ses envies à elle. Et elle, comme elle est petite, elle ne parvient pas à les exprimer. Alors ça sort un peu brutalement pendant le repas, et elle est rapidement envoyée dans sa chambre.
Heureusement, son père et sa mère sont tout de même assez attentifs pour finir par mieux cerner les circonstances.
Ce que j’apprécie dans cet album c’est qu’il ne donne de leçon ni aux enfants ni aux parents. Il montre juste la réalité d’une situation et le malentendu qui peut survenir.
Les illustrations très tendres et douces de Claude K. Dubois portent parfaitement cette histoire en incitant à la plus grande des empathies pour chacun des personnages.