Le gardien de la lune, Zosienka, Saltimbanque éditions, 13€90
Ça doit être quelque chose que tous les enfants font, à un moment ou à un autre: s’émerveiller devant la lune.
C’est aussi le cas d’Émile, l’ours blanc. Aussi, quand il apprend qu’il a été désigné pour en être le gardien, il prend sa tâche très au sérieux. Il prépare tout un petit matériel et gravit les quatre-vingt-treize marches de l’échelle, pour s’installer sur la plus haute branche de l’arbre. De là, il veille.
Prendre soin de l’astre n’est pas très compliqué, il faut éloigner les chauves-souris, faire un peu le ménage et voilà tout. Émile apprécie aussi ses conversations avec la lune: même si elle ne répond pas, elle est toujours très à l’écoute!
Mais un jour, il lui semble bien qu’elle a diminué… Inquiet, il entreprend de la dessiner chaque jour pour s’en assurer.
Pas de doute, elle est de plus en plus petite! Émile aurait-il échoué dans sa tâche?
Il réfléchit, émet des hypothèses, interroge ses amis.
Dans ce grand album aux images pleines pages, la fantaisie rencontre la poésie. Émile est un gardien de la lune très attachant, qui s’attire rapidement la sympathie des jeunes lecteurs.
C’est toujours un peu mystérieux pour les enfants, la naissance. La leur, bien sûr, enfin celle des petits humains mais aussi celle des animaux.
Dans ce très joli documentaire les bambins peuvent découvrir des modes de procréation pour le moins étonnants : les bébés hippocampes qui grandissent dans la poche marsupiale de leur père (on rappelle au passage que les hippocampes sont des poissons, ce qui suffit à surprendre le jeune lecteur), les spectaculaires transformations des têtards en grenouilles ou des chenilles en papillons ou l’autonomie des bébés tortues qui doivent se débrouiller seules dès la naissance.
Merveilleuses naissances est un album soigné, le dessin au trait fin sur fond blanc est très joli.
Des pages de papier calque alternent avec le papier classique. Cela donne un petit aspect ludique que les enfants apprécient en général. De mon côté j’avoue que je n’ai pas trouvé qu’elles se justifiaient pleinement, à part peut-être pour renforcer l’idée de lever le voile sur les mystères de la naissance.
La jaquette, également en papier calque, est assez fragile et ne résiste pas très longtemps aux manipulations des petites menottes. C’est dommage parce qu’elle est très attractive pour les enfants.
Concernant le texte, j’apprécie sa précision associée à sa simplicité. Un bien joli premier documentaire.
Mais qu’est-ce que c’est? Raphael Martin, Claire Schvartz, Saltimbanque, 14€50
La nature regorge de formes plus ou moins intrigantes pour celui qui les découvre pour la première fois. Monticules, bosses, amas divers, tas gluants, formes aériennes, mais, qu’est-ce que c’est?
Sur chaque page de gauche, une image, une description et une question. Sur celles de droite, une mise en situation ou un plan de coupe nous apporte la réponse.
44 curiosités sont ainsi explorées et nous font découvrir les petites merveilles du jardin, de la forêt ou des fonds marins.
En plus de l’aspect documentaire, les illustrations apportent une petite touche d’humour bien plaisante (j’aime particulièrement la bouille des bébés hirondelles qui réclament leur pitance)
Un petit regret peut-être, la présentation question/ réponses sur une même double page. Les enfants qui, on le sait, décryptent l’image plus vite que leur ombre, y trouvent parfois la réponse avant même qu’on ait fini de lire le texte de gauche, censé leur apporter des indices. Qu’importe, leur plaisir n’est généralement pas amoindrit et ils adorent nous interrompre pour s’exclamer « je sais, c’est un champignon! »
Parfois d’ailleurs, leur hypothèse se révèle fausse et quand on termine de lire le texte, ils découvrent par exemple que là où ils voyaient des abeilles il s’agit en fait de frelons asiatiques.
La la langue, Aliyah Morgenstern, Susie Morgenstern, Serge Bloch, Saltimbanques, 13€90
Un travail de linguiste
La la langue, c’est l’histoire du développement du langage chez le jeune enfant. Aliya Morgenstern est linguiste, elle explique ici avec toute la précision de sa profession le processus qui permet au petit humain d’apprendre à parler.
Ses explications, elle nous les livre dans la langue du récit plutôt que dans un langage scientifique. Elle est bien placée pour savoir à quel point la forme est importante.
Un travail d’autrice.
Pour cela, elle s’est associée à sa mère, Susie Morgenstern, autrice à succès de romans jeunesse. Mais bien sûr, quand on s’adresse aux enfants, il y a aussi une autre forme de narration, qui m’est particulièrement chère. Les images, qui ont été confiées à Serge Bloch, qui a déjà illustré plus d’une centaine d’albums (dont les séries « Max et Lili » et « SamSam »)
Un travail d’illustrateur.
Autant dire que nous avons affaire à un trio de haut vol, chacun maîtrisant parfaitement sa partition, et qu’ils nous offrent une œuvre polyphonique tout à fait réussie.
On y apprend comment le langage se construit dès la naissance, et même avant, et on suit les différentes étapes, du babil aux phrases construites.
Le développement moteur et affectif sont également abordés.
Le texte est rédigé à la 2eme personne, pour interpeller le jeune lecteur. Car c’est un album qui s’adresse aux enfants (ils peuvent l’apprécier dès 6 ans), tout autant qu’aux adultes qui en prennent soin.
Il faut dire que le mécanisme de l’apprentissage du langage est tout à fait fascinant pour l’enfant, qui prend conscience à la lecture de cet album de tout ce qu’il a appris petit à petit. Dans un cadre familial, c’est l’occasion d’un beau moment de complicité, qui permet de se remémorer les premiers mots de l’enfant, ses petits défauts de prononciation, le bain langagier dans le quel on l’a plongé dès sa naissance.
Un super outil en formation.
Et puis, il faut que je vous le dise, sans vouloir sembler trop égocentrique, quand j’ai eu cet album entre les mains, j’ai eu l’impression qu’il avait été fait pour moi. Ou, plus exactement, il était l’outil idéal qui me manquait pour accompagner mes formations.
Je forme des professionnels de la petite enfance ou des bibliothécaires jeunesse à la pratique de la lecture à voix haute.
Bien entendu, j’y aborde assez longuement le développement du langage et le rôle essentiel de la lecture dans ce processus.
La la langue est le prolongement idéal de ces formations, les stagiaires peuvent y retrouver les étapes importantes et des fourchettes d’âges dans une forme ludique qu’ils peuvent même partager avec des enfants. Que demander de plus?
Où est le loup? Martine Perrin, Saltimbanque, 13€50
Avec ses pages cartonnées et ses angles arrondis, il a un faux air d’album pour les tout-petits. D’autant que l’autrice, Martine Perrin, a déjà souvent montré sa capacité à s’adresser aux très jeunes enfants avec ses images contrastées et ses rythmes et ses textes rythmés.
Mais ici, elle explore une nouvelle forme, hybride, entre livre jeu et cahier d’activité. Elle invite les enfants à jouer avec les représentations du loup.
Le prédateur se retrouve ainsi réduit à la taille d’un insecte, caché sous une feuille à soulever, réduit à ses yeux, découpé en trois morceaux.
Certaines pages demandent une manipulation précise (en particulier celle où il faut faire coulisser les queues des animaux) ou une bonne capacité d’abstraction. Un livre pour les « grands », donc, disons déjà scolarisés.
Plutôt adapté à un usage familial que collectif (je ne me risquerais pas à le laisser en libre accès en crèche par exemple), on préférera le montrer individuellement que collectivement: il faut que l’enfant puisse soulever le papier coloré, trifouiller les pages, fouiller l’image, manipuler à loisir.
En explorant les différentes caractéristiques du loup, cet album permet de mieux le connaitre mais aussi de le démystifier.
Au lit les chats, Barbara Castro Urio, saltimbanque, 13€90
Dès la couverture il y a une ouverture, petite, en bas de page, qui attire le regard. C’est la porte d’une maison, tracée au simple trait gris sur le blanc uni de la page.
Dedans, il n’y a d’abord que le chat rouge. De lui, on ne perçoit que la couleur, à travers une découpe carrée dans la page cartonnée.
Mais on sait qu’il est là, le texte nous l’affirme.
Alors on l’imagine, semblable au chat vert qu’on voit sur la page de droite, petite silhouette unie, aux yeux blancs qui ressortent dans le pelage coloré.
C’est ensuite un chat jaune qui se présente sur la page de droite, celle de gauche se perse alors d’un deuxième carré, vert bien sûr, comme une petite fenêtre dans la maison blanche.
En tout, ce sont douze chats qui vont arriver, chacun avec sa posture et sa couleur, puis s’installer dans la maison pour y dormir, suscitant une nouvelle découpe dans la page.
Douze petits carrés de couleurs égaillent alors la maison dans la quelle on pénètre enfin, pour souhaiter une bonne nuit aux chats, dont les yeux maintenant sont clos.
Comme les images, le texte est épuré, d’ailleurs les phrases ne s’achèvent pas par un point mais par un simple saut de ligne.
L’épaisseur et la très belle qualité du carton utilisé donnent envie de caresser cet album, la découpe nous invite à pénétrer à l’intérieur du livre comme elle invite les chats à rentrer dans la maison.
Bien sûr, cet album se prête parfaitement à la lecture du soir, à ou tout autre moment de la journée. Mais n’en faisons pas un livre « pour faire dormir » les bambins récalcitrants (et ne le résumons pas non plus à un livre pour apprendre les couleurs), d’une part parce que ça ne fonctionne pas, d’autres part parce que ce serait très réducteur. Et une bien piètre façon de voir la littérature enfantine.
Mais qui épie la pie? Martine Perrin, saltimbanque éditions, 11€90
La pie se sent épiée, il faut dire qu’autour d’elle il y a du monde: Du chat à la vache, en passant par la chèvre, le lièvre ou le chien, tous semblent jeter un œil dans sa direction. Mais en réalité, chacun vaque à ses occupations et ce n’est que par hasard qu’ils regardent vers l’oiseau.
On découvre ainsi les animaux du jardin ou de la ferme, tandis qu’une découpe dans les pages resserre le regard sur la tête de la pie.
On retrouve dans cet album les éléments qui ont fait le succès des livres de Martine Perrin: Formes épurées, couleurs contrastées, texte court et poétique, découpes dans la page.
Tous les ingrédients sont là pour séduire les bébés, y compris le format facile à prendre en main (quoi qu’un peu lourd pour les tout petits) et les pages cartonnées épaisses qui rassurent les adultes.
On sent une grande maîtrise de cette forme, le regard du lecteur est dirigé, tantôt sur la page de droite, où des découpes colorées évoquent la forme d’un œil, tantôt sur celle de gauche, vers la tête de la pie. Et en point d’orgue, la chute propose une surprise qui fait mouche avec les bébés mais aussi les bambins plus grands.
« Mais qui épie la pie? » est à proposer à des nourrissons sans modération.