La journée de Louisa, Lucie Lindemann, Daniela Costa, sarbacane, 2025, 15€50
Le matin, maman rentre dans la chambre plongée dans le noir pour réveiller sa petite Louisa. Elles descendent l’escalier pour le petit dej, papa a déjà fait chauffer le lait.
Une dernière petite vérification avant de partir à l’école, non Louisa, tu ne peux pas garder le pull trouvé, mets en un autre, et hop, c’est le départ, à pied en compagnie du chien.
La journée de Louisa est en apparence tout à fait banale, et ce n’est qu’au bout de quelques pages qu’on se rend compte que ses deux parents sont aveugles.
Ça ne fait pas tellement de différence dans leur parentalié, ni dans les soins qu’ils apportent à leur petite fille. Peut-être juste dans l’organisation, et parfois dans le regard des autres, brièvement.
Louisa n’est pas une enfant plus responsabilisée que les autres, elle a l’insouciance de son jeune âge.
Parfois un peu fripouille, elle est tentée de mettre à profit la cécité de ses parents pour tricher aux cartes ou chiper discrètement une des crêpes tout juste sorties de la poêle de papa, mais qui n’en ferait pas autant?
Tout l’intérêt de cet album réside dans le contraste entre la journée très ordinaire et cette famille singulière.
Il suffit de quelques menus ajustements (par exemple des livres en braille) et d’un tout petit peu d’aide extérieurs (un gentil tonton pour lire les livres de la bibliothèque) pour que Louisa grandisse dans des conditions tout à fait habituelles.
Si la représentation du handicap dans la littérature enfantine évolue (par exemple dans cet album récent) j’ai l’impression que c’est rarement le handicap du parent qui est mis en histoire. Comme si être parent et en situation de handicap n’était pas montrable. Je trouve intéressante la démarche de cet album, qui permettra banaliser une situation somme toute assez normale.
Le texte est assez factuel et les illustrations au crayon de couleur parviennent à rendre les attitudes typiques des personnes aveugles, en particulier le visage qui n’est pas forcément tourné vers ce sur quoi la personne est concentrée, tout en laissant planer le doute sur la couverture et dans les premières pages de l’album.
Elle est où ta jambe? James Catchpole, Karen George, éditions d’eux, 2025, 18€
Jo a une imagination fertile. Quand il s’amuse dans le square, il s’imagine pirate, faisant face à de dangereux requins ou crocodiles.
Il n’a pas peur, Jo, les requins imaginaires, ça le connait. Par contre, avec les enfants qu’il ne connait pas, c’est plus compliqué. Parce que la plupart du temps, la rencontre commence par cette fameuse question: « Elle est où ta jambe? »
Et Joe, il n’a pas tellement envie de raconter.
Alors il renvoie la question: « toi, tu penses quoi? »
Les enfants font les hypothèses les plus fantaisistes, Jo esquive plus ou moins les réponses.
Mais dans le même temps, ils se mettent à jouer, et ils en oublient un peu le réel.
Petit à petit, les enfants inconnus deviennent des enfants connus, et ils enchainent jeux et gouter très naturellement.
Au point que finalement ça n’a plus d’importance pour personne de savoir pourquoi Jo n’a qu’une jambe, il est juste un des potes de la bande.
Je dois vous avouer que quand j’ai vu le titre et la couverture au catalogue de l’éditeur j’ai d’abord froncé le nez.
Je n’ai jamais caché mon aversion pour les livres médicaments, qui prétendent régler le problème d’un enfant en quelques pages.
Mais j’ai une grande confiance dans les éditions d’eux, qui ont déjà montré qu’ils peuvent traiter des sujets complexes sans tomber ni dans la caricature ni dans le discours moralisateur ou simpliste.
Pari gagné cette fois encore, ils prouvent une fois de plus que la littérature enfantine peut aborder tous les sujets, tant qu’elle le fait avec intelligence et en respectant l’intelligence des petits lecteurs.
Où se cache ma fille? Iwona Chmielewska, éditions Format, 2020, 18€50
Un parent (père ou mère? On ne le sait pas) fait le portrait de sa fille. Un portrait plein d’amour où les différentes facettes de l’enfant sont racontées.
L’autrice utilise le recto et le verso de chaque page pour montrer deux visions du même patchwork, son endroit et son envers, doublé d’organza blanc. A une première image en couleur, très soignée, succède donc sa doublure, aux fils apparents. Ce n’est pas la fillette qui se dissimule derrière les meubles, mais des animaux qui évoquent des traits de sa personnalité. Chaque animal en partie caché sur la première image apparait en entier mais transformé au verso.
Car une même enfant peut être à la fois forte comme un éléphant et faible comme un chaton. Tour à tour redoutable comme un lion ou douce comme un agneau.
Comme dans le très beau « Dans ma poche », Iwona Chielewskautilise les caractéristiques de la couture pour créer des illustrations sensibles, intimes, touchantes.
Elle dresse un portrait tout en nuances et en finesse. Les caractéristiques de l’enfant ne sont pas évaluées, jugées, il ne s’agit jamais de savoir si c’est bien ou pas d’être timide, amical ou vulnérable. Mais la répétition « Ma fille », qui revient à huit reprises dans le texte, suffit à montrer à quel point l’enfant est chéri par le narrateur invisible.
On imagine la fillette, puisqu’on ne la voit pas. Et on est impatient de faire enfin sa connaissance. Quand, sur les dernières pages, elle apparait enfin, en deux temps encore, endroit, envers, une surprise nous attend. On a alors envie de relire l’album à la lumière de cet élément nouveau.
Où se cache ma fille est un très beau travail d’artiste, incroyablement minutieux, très sensible, qui n’est pas sans rappeler celui de Louise-Marie Cumont. On devine que chaque morceau d’étoffe utilisé a une histoire, un passé qui contribue à rendre les images si émouvantes.
Deux sujets qui m’intéressent: le handicap et la musique. Barbara Rosenstiehl les fusionne avec brio. Quiconque ayant travaillé avec des personnes en situation de handicap s’est déjà posé la question de la communication. Celle-ci ne peut pas toujours être verbale, elle passe donc par le corps, et tout un tas d’outils. C’est à partir de là que l’auteure s’est posé trois questions:
« – Pense-t-on à évoquer les personnes polyhandicapées à travers leurs potentialités et leurs aptitudes relationnelles?
– Peut-on entendre la musique autrement qu’en termes de tempo, notes, tonalité etc…?
– Envisage-t-on une thérapie basée sur la communication avec des individus qui n’ont pas accès au langage? »
En plus de m’apporter des réajustements dans mon accompagnement auprès de ces personnes et dans ma relation à l’autre d’une manière plus générale, j’ai également appris à envisager la musique (une de mes passions!) d’une autre façon.
Barbara Rosenstielh pose le contexte de la thérapie d’une manière générale dans le handicap, avant de mettre en lien la musique comme médiateur et la place du mouvement. Reposer les bases de ce qu’est la communication était également essentiel.
La musique
est «l’art de combiner des sons»,
la musicothérapie est une des composantes de l’art-thérapie qui consiste à
utiliser la musique comme outil thérapeutique, pour rétablir, maintenir ou
améliorer la santé mentale, physique et émotionnelle d’une personne.
La musique
est du point de vue scientifique un phénomène physique d’ondes vibratoires qui
viennent littéralement toucher le corps et plus particulièrement les tympans.
Pour les
musiciens, c’est un moment de plaisir, d’échanges, de jeu, d’expression.Il s’agit
de goût de vivre, de mieux-être, d’aide à vivre, d’intégration et de
socialisation.
Le but est d’ouvrir les canaux de communication,
redécouvrir le plaisir et le désir de communiquer. Ce qui implique une vocation
d’écoute, de présence, d’observation et permet d’agrandir l’espace d’expression
émotionnelle. La musicothérapie estun système
de relation moi-autrui-environnement.
Cette citation de Barbara
Rosensthiel met en exergue ce qu’il peut se passer pour le corps: «ce résonateur
qu’est le corps, contenant et contenu d’une communication, a besoin d’espace,
d’espace sonore, de lieu entre lui et les autres pour s’exprimer».
Dans ces
ateliers, ce c’est pas le contenu qui compte mais la capacité à communiquer,à
donner du sens expressif. Cette communication spécifique est porté par les
éléments constitutifs de la musique: vibrations, rythme, son, mélodie,
harmonie.
La musique
est alors un médiateur, dans une relation qui se doit sécurisante,
enveloppante, gratifiante et plaisante. C’est une
intervention non intrusive dans le domaine relationnel non verbal, composée de
sons et mouvements.
«Jouer de la musique c’est mobiliser
l’imaginaire, la créativité et l’affectivité». La créativité est l’action de
faire ou d’organiser quelque chose qui n’existe pas. C’est unique , vient de la
personne mais tourné vers l’autre.
Pour
Winnicott, la créativité est une façon de percevoir les choses qui donne au
sujet le sentiment que la vie mérite d’être vécue. Il est acteur. Ce qui
renvoie à une notion d’identité, de savoir-faire.
Ces outils nous permettent d’entrer
en relation avec l’enfant, de lui offrir la possibilité de faire des choix. Ils
ont un objectif pour l’accompagnement présent de l’enfant, mais également en
vue de l’orientation future des enfants. En effet, le but est d’établir des
codes stables afin de pouvoir les élargir ensuite, les agrandir au cercle moins
privé de la famille, aux futurs professionnels qui accompagneront l’enfant mais
également à l’extérieur, dans les autres lieux où l’enfant est accueilli, dans
une démarche de continuité pour l’enfant, de progression, d’apporter des moyens
de communication adaptés et ne pas recommencer tout le travail fait en amont.
Barbara Rosensthiel n’hésite pas à nous faire partager ses séances avec ceux qu’elle a accompagnés, ce qui rend son expérience concrète pour nous lecteurs.
La musicothérapie est un espace/temps, où il est indispensable d’être disponible et d’être avec l’autre et c’est une expérience à vivre en équipe.
L’accordage affectif, le langage, la motricité, le miroir sonore, la créativité, éveil des sens, Palo Alto et les rituels sont tant de sujets abordés dans ce livre.
Si vous êtes sensible à la musique, à la communication non-verbale, n’hésitez pas! Nous utilisons tous les jours notre communication gestuelle, quel que soit notre interlocuteur et dans toutes les situations!
Barbara Rosensthiel est éducatrice jeunes enfants, musicothérapeute (formation à la musicothérapie active CF l’Atelier de Musicothérapie de Bordeaux), elle a travaillé en crèche puis au sein d’un institut médico-éducatif pour enfants et adolescents polyhandicapés.
Pour aller plus loin:
« Eléments de musicothérapie » Ducourneau Gérard
« Des musiciens et des bébés » Bouteloup Philippe
« Premiers gestes, premiers mots » Van Der Straten Astrid
« Les communications non-verbales » Corraze Jacques
Collaborer avec les familles de personnes handicapées , Bruno Laprie et Brice Minana, ESF EDITEUR, Collection « Les guides Directions »
Prix: 14,90€
« La famille!…Impossible de vivre avec, et impossible de naître sans » Allan Gurganus, « La famille, ce havre de sécurité, et en même temps le lieu de la violence extrême » Boris Cyrulnik.
La notion de famille évoque chez chacun de nous des émotions diverses, des représentations, de l’épanouissement à la frustration voire à la rancœur. Cette question est d’autant plus travaillée dans le domaine du handicap. Nous changeons un peu d’horizon avec ce billet, nous tournant vers le champ de l’éducation spécialisée, ô combien présent et important dans notre société aujourd’hui, qui œuvre pour un mieux-être, un bien-être de ses usagers.
Accompagner une personne en situation de handicap, va de paire avec la prise en compte de sa famille et de son environnement social global, affirmation qui parait logique aujourd’hui et qui a été réaffirmée dans un contexte législatif. La « famille » peut s’entendre au sens large: filiation biologique, loi, représentations culturelles, foyer « nucléaire », famille « élargie et infinie », recomposition etc…
Toute parentalité implique des appuis « élargis »: familles, amis… Mais dans le contexte du handicap, les parents doivent s’appuyer À L’EXTERIEUR et accepter que l’éducation seule ne suffit pas, elle doit être spécialisée (rééducation, thérapies) et baignée dans le champ d’actions médico-social, vaste labyrinthe pour le novice, entre les diverses institutions, la multiplicité des appellations et la lourdeur administrative.
Cet ouvrage, croise l’évolution de la notion de famille, recadre de manière étayée, la définition de responsable légal dans notre pays et de solidarité familiale, en réaffirmant l’importance de préserver le lien familial et d’inclure les familles dans la vie des établissements où sont accueillis le membre de leur famille. La participation familiale semble aller de soi, surtout si elle est incitée par les établissements, mais il ne faut pas croire qu’elle ne va pas forcément de soi. En effet, ces familles entrent dans un monde méconnu, un peu par obligation et peuvent être en souffrance. Sans compter les sentiments de culpabilité et de disqualification qu’un accompagnement spécialisé peut engendrer, sans oublier la disponibilité que cela demande et le poids du regard social.
Cette culpabilité et ce sentiment d’incompétence peut créer un jeu de pouvoir dans les relations familles/institutions/personne accompagnée et dynamiser une forme de communication Sauveur/Victime/Persécuteur, décrit par le triangle de KARPMAN, qui n’est pas sans conséquence, notamment dans le rapport de travail qui en découle: partenaire, usager, client, collaborateur…
Bruno Laprie et Brice Minana mettent en valeur la notion de co-construction avec les familles, dont va découler le degré de leur participation. Cet investissement aura besoin d’une relation de confiance qui s’établit dans le temps, d’une écoute non jugeante, du respect des valeurs familiales et de communication positive.
Comme dans tout lieu d’accueil, nous le vérifions également dans nos structures d’accueil du jeune enfant, la collaboration commence dès l’admission et l’adaptation, le fait de rendre lisible les fonctions des professionnels accompagnant (organigramme par exemple), d’utiliser des supports de communication (cahier, tableaux d’affichage etc…), de démystifier le jargon dans lequel on baigne sont indispensables à un vrai travail en binôme, pour inclure réellement la famille dans ce nouveau monde.
« Si l’on n’est pas préparé à être parent ce rôle peut être encore plus complexe à jouer avec un enfant en situation de handicap car les repères de l’évolution de l’enfant sont brouillés ». Il y a là un enjeu de taille lorsqu’on accompagne ces parents. On ne naît pas parent, on le devient, et ils sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Toute l’alchimie se joue dans les frontières que chacun délimite (professionnel et parent), tout en convergent vers un chemin commun. Ce soutien passe donc par une place respectueuse de chacun et par des actions mises en place accompagnement dans l’annonce puis acceptation du handicap, dans l’explication de la maladie, espaces d’échanges et de dialogues entre familles, ateliers parents-enfants, médiateur, visite à domicile etc…
Collaborer avec les familles de personnes handicapées c’est aussi une inscription dans le temps, avec des objectifs des étapes du parcours de vie, des marqueurs des avancées (âge, sociales, éducatives etc…) avec des approches fonctionnelles (relations, capacités…) et situationnelles (mobilité, prendre soin de soi…) et la préparation au projet de vie adulte, de l’après-institution.
Ce livre est un rappel du cadre légal qui entoure le handicap aujourd’hui, une réflexion sur les postures professionnelles et les leviers possibles à utiliser, et un outil précieux dans l’accompagnement sur la durée de ces familles.
« Je ne comprends
toujours pas pourquoi on félicite et récompense ceux qui ont des beaux enfants,
comme si c’était leur faute. Pourquoi, alors, ne pas punir et mettre des
amendes à ceux qui ont des enfants handicapés ? » Jean-Louis Fournier
Brice Miñana est psychosociologue et consultant dans le
secteur médico-social.
Bruno Laprie est consultant en organisation et auditeur
qualité et dirige l’agence Celadon-conseil, organisme de
formation et de conseil spécialisé dans le secteur social et médico-social.
Pour aller plus loin:
-« Où on va papa? » Jean-Louis Fournier
-« Favoriser la participation des usagers en établissement médico-social » Bruno Laprie, Brice Manana
-« Motiver les équipes en travail social » François Charleux, Jean-René Loubat
-« Handicap et accompagnement, nouvelles attentes, nouvelles pratique » Henri-Jacques Stiker, José Puig, Olivier Huet