Je n’y arriverais jamais
Alors que le déconfinement est largement entamé et que l’activité reprends un peu partout, je commence à tout juste à prendre du recul sur mes activités de formatrice pendant le confinement.
Par bonheur, les cours sur la littérature enfantine que je donne aux étudiants en science de l’éducation à Paris 13 sont tous réunis sur le premier semestre, donc pour eux la question ne s’est pas posé. (Elle se posera peut-être en septembre et ça m’inquiète déjà mais chaque choses en son temps)
C’est pour les écoles d’éducateurs de jeunes enfants (je donne des cours à l’IRTS de Paris et à l’ETSUP) qu’il a fallu trouver des solutions de continuité pédagogique.
Mes cours s’articulent généralement autour de deux axes:
- la pratique de la lecture à voix haute avec de jeunes enfants
- la connaissance de la littérature enfantine.
J’aime que les deux s’entrecroisent, il est rare que je fasse un cours entier sur un seul des domaines. Il faut préciser que dans ces écoles, les cours durent une demi-journée et parfois une journée entière. Il faut donc varier les supports. J’évite que les séquences où je parle pendant qu’ils prennent des notes ne soient trop longues et j’essaye de favoriser le travail en groupe.
J’entrecoupe toujours mes cours de lectures d’album. Ça fait des petites pauses, ça permet aux étudiants de mieux connaitre la production, je ré-exploite ensuite ces lectures dans le temps d’analyse. Et puis surtout, j’adore lire des albums à des adultes. J’adore les sentir émus par le livre, émerveillé par ses images, impressionnés par la qualité littéraire. J’adore l’intensité d’écoute quand je lis par exemple L’arbre généreux. Je vois au fil des lectures que la représentation qu’ils se font de la littérature enfantine change, et c’est un régal.
Tout cela me semblait totalement impossible à distance.
Quand on m’a demandé si je pouvais assurer mes cours par internet, j’ai été totalement démunie. Lire à distance? Ne pas voir les étudiants? Comment je vais savoir si je les ennuie, si je vais trop vite, s’ils ne sont pas en face de moi?
Et comment les faire travailler sur les livres si je ne peux pas leur donner un tas d’album à manipuler, à découvrir? Et faire des petits groupes en classe virtuelle, c’est possible? Mais, je ne sais pas faire ça, moi!
Il faut bien tenter un truc
J’ai d’abord choisi la solution la plus simple pour moi, mais probablement la moins satisfaisante pour les étudiants: j’ai envoyé des ressources qu’ils pouvaient explorer avec debriefing par mail. J’avais sous le coude des liens de vidéos, de podcasts, d’articles susceptibles de les intéresser.
Ensuite, je suis restée encore un peu dans ma zone de confort, j’ai proposé un cours magistral, sur la façon dont l’enfant entre en lecture selon son développement, de 0 à 3 ans. En deux sessions d’une heure trente, avec plusieurs pauses et la possibilité pour eux d’intervenir en direct à l’écrit. A priori, c’était assez satisfaisant, j’ai eu des retours positifs.
Mais, parce qu’ils étaient trop nombreux et que leur connexion n’est pas toujours au top (la mienne non plus d’ailleurs), les caméras étaient coupées.
Pour faire un cours à des adultes, c’est comme pour lire à des enfants, il faut les regarder. Adapter notre rythme à leur regard, sentir le moment où ils décrochent, être un peu plus expressifs si nécessaire ou leur laisser le temps de prendre des notes.
Faire cours “à l’aveugle” n’est pas confortable et je me suis quand même demandé s’ils étaient vraiment là ou si certains étaient en train de vaquer à leurs occupations avec ma voix en bruit de fond.
Comme pour me conforter dans mes doutes, une étudiante a envoyé par erreur le message “j’ai rien suivi depuis le début” sur le chat collectif, pensant probablement s’adresser en privé à un de ses camarades. Sur le coup, ça m’a amusé mais depuis je me demande quand même si elle n’a rien suivi parce qu’elle n’était pas d’humeur ou parce que je n’étais pas captivante.
Clairement, j’ai une bonne marge d’amélioration
Depuis je prépare avec beaucoup de soin les quelques cours qu’il me reste à assurer à distance. Je vais essayer de maitriser l’outil de connexion à distance (je ne veux pas lui faire de pub mais bon, c’est un de ceux que tout le monde utilise en ce moment pour les réunions) pour faire des petits groupes d’étudiants. Je vais leur proposer de travailler sur des cas pratiques (qui sont en cours de rédaction) où ils seront mis en situation professionnelle. J’essaye de créer des quiz pour les mobiliser. Et surtout, je vais essayer de leur donner plus la parole, c’est terriblement frustrant pour moi (et pour eux aussi sans doute) de ne pas avoir de véritables interactions.
Faisans contre mauvaise fortune bon cœur, j’essaye de me convaincre que c’est l’occasion d’expérimenter de nouvelles choses, de développer de nouvelles compétences.
Mais j’en retire une certitude. Rien, jamais, ne pourra remplacer un vrai cours en présence les uns des autres. Ni pour la littérature enfantine, ni pour un autre sujet à mon avis.