Détache-moi! Auteur: Marcel Rufo

Collection : Essai

Editions: Anne Carrière

Prix : 18€

Pages :265

« Peut-on vivre sans lien? Non, parce qu’on ne peut pas exister seul. On a besoin de l’autre pour se construire et se conquérir, pour se rassurer parfois, et pour partager des moments, des idées et des désirs. »  La force du lien

Il faut se séparer pour avoir une chance de devenir soi…

Dès que l’on touche à l’affectif, la psychologie, la question du lien apparaît. Marcel Rufo rend, une fois de plus, abordable de grands processus psychologiques, avec sa simplicité habituelle.

La vie est faite de séparation, de retrouvailles, d’attachements et de détachements plus ou moins douloureux. C’est ainsi que l’on se construit, que l’on apprend sur soi, sur les autres. Dans le milieu professionnel de la petite enfance, nous avons l’habitude d’entendre et de dire qu’il faut être bien attaché pour bien se détacher… Facile sur le papier…

Marcel Rufo dresse des portraits à partir de situations rencontrées dans sa vie professionnelle, mettant en exergue la difficile alchimie de ce jeu de distanciation. Il nous parle ainsi de la fusion que nous avons tous connu, à l’essence même de notre origine, et des complications qui existent parfois. Grandir passe par la séparation, avec le rôle du père notamment -ou d’un tiers- du sommeil, déjà une petite séparation en soi, puis de l’école. Il nous fait également part de situations où tout est fait pour prolonger cette fusion ou lorsque la séparation est « empêchée » par une maladie ou un handicap. Il aborde également le poids de la séparation sans retour: la mort et le travail qu’elle demande, et l’importance des souvenirs via notre mémoire de fixation puis d’évocation. L’adolescence, période souvent redoutée, dans sa richesse de détachement est un bel exemple de ce sujet également.

Au détour d’un Raphaël ne voulant plus parler correctement, qui, par le bégayage grappille des moments précieux auprès de sa maman hospitalisée. Ou de Léo dont la maman en prison avec sa petite sœur, exprimera son incompréhension de cette absence par l’agressivité envers les autres enfants, le processus de séparation dans ces contextes entraînent des somatisations. C’est un échec de la mentalisation ou de la compréhension. Le psychisme fonctionne comme un révélateur ou un accélérateur des possibilités organiques, il ne créé par la maladie, mais, sur un terrain sensible et prédisposé, la réveille.

Ces observations ne datent pas d’hier, René SPITZ en 1945 a mis en avant ce que l’on appellera l’hospitalisme. Il recouvre « l’ensemble des troubles physiques dus à une carence affective par privation de la mère survenant chez les jeunes enfants placés en institution dans les dix-huit premiers mois de la vie. » Il a été observé chez ces enfants placés, un repli sur soi de plus en plus intense, allant jusqu’à un arrêt du développement psychomoteur. Ces constats ont permis de faire évoluer sur les pratiques et ont mis en avant les conséquences, parfois irréversibles, de séparations précoces et insécures.

Impossible de ne pas citer Ronald Winnicott lorsqu’il s’agit d’attachement. Il parlera de « 100 jours de folie amoureuse » après la naissance du bébé dans la relation mère-enfant. On parlera de mère mais cela est valable pour toute figure d’attachement. Grâce à la préoccupation maternelle primaire, résumant l’ensemble des pensées maternelles pour le confort de l’enfant, avec le holding (l’art de porter physiquement et psychiquement le bébé) et le handling (le réel contact avec le bébé, notamment par les soins)  le premier lien d’attachement du nourrisson va construire. De la naissance à 6 mois il parlera de dépendance absolue, de 6 à 18 mois de dépendance relative et à partir de 2ans d’indépendance. Bien sûr, il ne va pas mettre la table et ranger sa chambre, il s’agit bien d’indépendance psychique, l’enfant commence à avoir conscience de lui et sait que sa mère répondra à ses besoins.

Marcel Rufo pointe à travers des cas concrets, la difficulté de se séparer d’un parent malade (physiquement ou psychologiquement). L’ambivalence « je t’aime je te hais, je ne peux pas me passer de toi comme toi de moi » bat ici tout son plein. Comment se séparer d’un parent si la crainte de l’éloignement culpabilise? Se détacher en ayant la crainte que l’autre ne soit pas assez solide et entraîne un doute sur la capacité de « résistance ». Le pédopsychiatre nous éclaire sur ces questions qu’il a appris à traiter au fur et à mesure de son expérience. Un parent doit rassurer, encourager et rendre plus fort, or un parent malade entraîne un inversement des rôles où c’est l’enfant qui se doit d’être fort. Le parent n’a alors pas son rôle de « héros » dans la période que Marcel Rufo qualifie de « château fort » qu’est la petite enfance.

Quand à la mort, angoisse universelle et séparation ultime et irréversible, l’auteur citera Sigmund Freud, parlant du deuil de sa fille  » on sait qu’après une telle perte, le deuil aigu s’atténuera mais on reste toujours inconsolable, sans trouver de substitut (…). C’est la seule façon de perpétuer cet amour, qu’on ne veut abandonner à aucun prix ».

Je vous invite également à jeter un œil aux travaux de Janusz Korczak et ses orphelinats.

Marcel Rufo est pédopsychiatre, professeur d’université, praticien, écrivain et auteur. C’est un spécialiste de l’enfance de renom, intervenant essentiellement dans le bassin méditerranéen.

Pour aller plus loin :

Marcel Rufo : « Tu réussiras mieux que moi »

Isabelle Filliozat : « J’ai tout essayé »

Corinne Morel : « ABC de la psychologie de l’enfant »

Mélanie Klein : « Le complexe d’Œdipe »

Jean Bergès et Gabriel Balbo « Psychothérapies d’enfants, enfants en psychanalyse » 

« Un psy chez les tout-petits ? » Marie Danet

http://korczak.fr/m4textes/pedagogie-korczak/afjk-bl_intro-dispositifs-korczakiens.html