Caché, Corinne Dreyfus, Thierry Magnier, 2017, 16€
Parfois, c’est sur le long terme qu’on peut vraiment évaluer l’intérêt d’un album. Particulièrement avec ces livres un peu ovnis, ces atypiques qui peuvent à la fois susciter notre emballement ou nous laisser perplexe. C’est à l’usage et surtout en observant ce que les enfants en font qu’on saura s’ils sont destinés à devenir des “classiques” ou à être oublié en quelques mois.
C’est la raison pour laquelle je présente aujourd’hui le livre “Caché” avec quelques années de recul sur son usage.
Présenté comme “le premier roman pour bébé”, il se compose de chapitres, est accompagné d’une préface et il est paginé. Il ne contient pas d’image, uniquement des mots, imprimés en noir sur fond blanc, et il a un format rectangle à la française. Pour toutes ces raisons, il s’apparente donc bien à un roman plus qu’à un album, genre dans lequel l’image est supposée être prépondérante. On peut le rapprocher de deux autres ovnis, “Le livre sans image” et le magnifique “On dirait qu’il neige”, mais ces trois ouvrages ne se ressemblent en rien, ils ont chacun leur singularité.
Et l’histoire ?
Un jeu de cache-cache entre un narrateur et son complice très bien dissimulé.
L’invention de cet album c’est d’utiliser les mots comme image. Ils structurent l’espace de la double page, l’aménagent, la subliment.
La mise en page est aussi un accompagnement à la lecture à voix haute. Spontanément, on ne lit pas de la même façon un mot écrit en gros ou en petit, des lettres dont le contour s’estompe ou qui se détachent en noir profond sur la page blanche.
Des phrases qui zigzaguent, qui s’enroulent, qui tombent vont aussi induire un rythme ou un ton chez le lecteur.
Quand on lit ce livre à voix haute à un bébé, il va s’appuyer sur notre voix, nos mimiques et la mise en page autant que sur le texte lui-même pour comprendre le sens.
Le livre devient même un accessoire de l’histoire, que l’on va tourner à certaines pages. Le récit n’est plus seulement dans le livre, il est partout autour.
C’est assez étonnant et il faut vraiment l’expérimenter pour en être convaincu.
La première fois que j’ai compris que “Caché” n’était pas un simple album gadget c’est quand je l’ai présenté au cours d’un relais d’assistantes maternelles (dans le cadre de mon travail pour l’association LIRE).
J’ai dit aux assistantes maternelles présentes que j’allais leur lire un livre, profitant que les enfants étaient occupés avec l’éducatrice de jeunes enfants. Quand j’ai commencé à lire, j’ai eu tout de suite l’attention des adultes présentes. Mais très rapidement, celle des enfants a été sollicitée aussi, ils ont interrompu leurs jeux et se sont approchés, à quatre pattes pour certains, pour voir de quel étrange livre sortaient ces mots.
Depuis son succès ne s’est pas démenti et s’il créé souvent un certain trouble en formation avec les adultes, il emporte presque toujours l’adhésion des enfants sur le terrain.