Le roi est occupé, Mario Ramos, Pastel, 1998, 16 €.

Je poursuis mon exploration de l’œuvre de Mario Ramos, toujours en vue de cette intervention (que vous pouvez suivre en visio si ça vous branche).
À vrai dire, mon texte est prêt, mais, étant contrainte par le temps, il y a plein de livres dont je ne vais pas parler. Dont celui-là, pour lequel j’ai pourtant de chouettes observations de terrain avec les enfants.

C’est un livre jeu interactif, l’enfant est invité à chercher sous des rabats les passages secrets qui mènent vers le roi. L’objectif est de trouver le souverain pour lui expliquer “tout ce qui ne va pas dans le royaume”.

On en profite pour visiter cet archétype de château-fort, avec son vocabulaire spécifique. Partout sont cachées des créatures vertes plutôt joviales.

En fin d’album, on découvre enfin le roi, qui a délaissé son trône pour s’asseoir sur… Les toilettes ! Désolée pour le spoil, mais les réactions des enfants tournent quand même beaucoup autour de cette page.
Ils sont ravis de voir que les puissants aussi font caca, et une des réactions qui revient souvent c’est “même la maîtresse va aux toilettes !” (mes observations proviennent pour beaucoup d’une bibliothèque de rue qui se tient devant une école, le contexte explique sans doute la récurrence de cette remarque.)

On se rapproche de l’album Chhht, lui aussi basé sur des caches à soulever dans un château mais avec beaucoup moins de tension narrative, ici c’est plus doux, on peut s’adresser à des enfants plus jeunes ou plus craintifs.
Le roi est occupé nécessite aussi moins de théâtralisation, et quand je le lis les enfants prennent volontiers la parole.
Ils me racontent qu’ils n’ont pas peur des monstres (ou alors juste un tout petit peu), ils mémorisent les caches qui mènent au passage secret sur chaque page et sont fiers de me montrer qu’ils l’ouvrent du premier coup, ils commentent les actions des sujets. Aucun enfant n’a relevé que le roi était un chat alors que tous les autres personnages sont des souris. Pour ce que j’en ai vu les enfants sont assez peu inquiets de la salle des tortures où le bourreau chauffe ses instruments. Par contre, ils manifestent un vif intérêt pour la salle du trésor, et certains préféreraient faire main-basse sur les coffres que poursuivre le chemin en direction du roi. Un enfant m’a dit “hop, je prends ce coffre, hop, je remonte l’escalier, hop, je ressors comme je suis venu.” Il a tourné les pages en sens inverse pour revenir à la première et s’est ravisé “en fait, j’y retourne et je prends tous les coffres, sur mon dos !”

Il a tout de même accepté qu’on aille jusqu’au bout du livre “pour voir”.
À la dernière page, découvrant le roi sous le cache, je lui dis “alors, qu’est-ce qu’on lui dit maintenant qu’on l’a trouvé ?”
Il m’a répondu “moi c’est bon, j’ai les coffres maintenant, j’ai plus de problème à lui dire”.

Mais quand un petit groupe d’enfant se constitue autour de cet album, en général les discussions vont bon train quant à ce qu’il faut dire au roi.
C’est assez marrant de voir comment les gamins de maternelle ont des idées de ce qui ne va pas dans leur royaume personnel. Les revendications tournent beaucoup autour du menu de la cantine !
J’aime bien la façon dont Mario Ramos prend l’enfant par la main pour le rendre acteur et lui donner un pouvoir d’agir. En lui faisant ouvrir les caches, il l’invite à agir, et en lui proposant cette histoire, il l’invite à réfléchir.
D’une façon générale, les livres de cet auteur se veulent émancipateurs, ils font confiance à l’enfant, le reconnaissent dans sa capacité à comprendre et à penser le monde. C’est tout simple, c’est ludique, c’est accessible, et en même temps c’est futé et juste assez subversif.
Et en plus, c’est drôle, que demander de plus?