Lire à haute voix des livres à des tout-petits « Quand les livres relient »

Auteurs :  Daniel Fatous, Dominique Rateau, Patrick Ben Soussan, Chantal Mélis-Constant, Juliette Campagne, Élisabeth Bergeron,  Béatrix Nancy-Stenger, Véronique Bous Luce Dupraz…

Collection : Mille et un bébés

Editions : érès

Prix : 9€

Pages : 156

« Lire un livre à un bébé, c’est participer d’une rencontre avec l’autre, au plus près de soi, une rencontre des corps, des sens, des émotions et des psychés ».

« Lire à voix haute, c’est aller à la rencontre de soi et proposer à celui qui écoute soit une reconnaissance, soit une découverte, soit une énigme qui l’éveillera » Chantal Mélis-Constant

Lire à voix haute n’est pas anodin. Il faut déjà passer au-delà d’une certaine timidité car prendre la parole, devant un enfant, un groupe, qui plus est avec comme support le livre, c’est intime, c’est donner un peu de soi.

Nous sommes amenés à le faire régulièrement, que ce soit en tant que professionnel de la petite enfance ou parent. Mais à quoi cela nous renvoie t-il?

Ces nombreux auteurs traitent de la question, chacun d’un point de vue différent.

Après un plongeon in utéro de Daniel Fatous, Dominique Rateau « du désir de lire à voix haute des livres d’images… » rappelle que les histoires racontées, notamment par les grands-parents sont aussi importants que les livres lus. Elle ne peut dissocier ce moment de partage de « l’espace potentiel » décrit par D.W Winnicott:  » cet espace psychique est le lieu du jeu, de la culture, de l’accès au langage , de la créativité , de la rencontre…et aussi celui de la lecture partagée, dans la mesure où il est l’espace de toutes les interprétations possibles du même récit imprimé ». C’est ce qui est beau dans la lecture, nous partageons le même livre, le même instant, mais la parenthèse que l’on vit est propre à chacun, à notre histoire, à la résonnance que les mots ont en nous, car « lire c’est dans sa tête ».

En écho à J-P Sarte pour qui la lecture est une ouverture au monde, pour Alberto Manguel, nous naissons tous lecteurs. Lecteurs de notre histoire, de notre vie, de notre monde « tous, nous nous lisons nous-même et lisons le monde qui nous entoure avant d’apercevoir ce que nous sommes et nous nous trouvons. Nous lisons pour comprendre ou pour commencer à comprendre ». C’est ce qu’il se passe lorsque nous nous identifions à un personnage de roman ou lorsque nous parcourons un livre sur le pays de notre prochain voyage. Le tout-petit va trouver également cette identification dans les mots qu’il entend, les images qu’il regarde, notamment lorsque les livres ont un thème précis (la propreté, une naissance dans la fratrie, la séparation, les choses qu’il aime etc…), mais aussi dans des albums, qui à priori, sont « généraux » ou que l’adulte peut trouver sans grand intérêt, l’enfant y trouvera peut-être une grande signification qui lui sera propre.

Le livre permet de s’identifier mais l’enfant sait faire la différence entre lui et ce qu’il se passe dans une histoire. Nous voyons régulièrement des parents ou professionnels de la petite enfance choqués par des textes, des images. Il ne faut pas oublier que l’enfant a son développement à lui, bien particulier, que ce n’est pas un mini-adulte et qu’il ne verra donc pas les choses à notre manière d’adulte bien pensant. N’ayez pas peur de vous ouvrir à des albums avec des images qui changent de d’habitude, c’est aussi cela offrir la diversité. Le livre permet de jouer avec le réel, l’imaginaire, le possible, l’impossible, le connu, l’inconnu…

Ne l’oublions pas, le livre est l’œuvre d’artistes, la naissance d’une collaboration d’un auteur, d’un illustrateur, d’un éditeur, chacun ayant amené sa « patte ».

Dominique Rateau nous fait prendre conscience que le livre c’est aussi  » retrouver inscrite sur le papier la formulation de la pensée d’êtres humains avec qui nous ne pouvons plus parler ». Transmissions de grands noms d’autres siècles ou de notre propre famille, l’écrit permet de garder une trace, de survivre aux générations.

Patrick Ben Soussan « lire à haute voix…Du chant des sirènes au chant d’Orphée », non rien à voir avec Fréro Delavega je vous rassure… a choisi un texte de J-P Sartre « les mots de maman ou la chaire de la langue », dans lequel l’auteur, enfant, rencontre le livre, la lecture à voix haute. Ses souvenir sont alors à la fois visuels, olfactifs et émotionnels, dans un moment mère-fils très intime et intense.

Comment à son habitude, P. Ben Soussan arrive à citer à la fois J-P Sartre, D. Pennac, R. Barthes, C. Baudelaire, A. de Rhodes et la mythologie grecque avec Oprhée, les sirènes et Ulysse en quelques pages!

Lire à voix haute un ouvrage donne de la voix au silence, un texte écrit ne dit rien, en le lisant, nous l’animons, l’éveillons. Cela réveille quelque chose de presque physiologique, ne disons-nous pas « boire les paroles »?

« Sartre nous propose de penser le livre, au tout début, comme objet, par sa matérialité – son apparence, son format, sa couverture, ses couleurs, son épaisseur, son odeur, sa mise en page, sa mise en bouche… », cet extrait me fait écho car pour moi le livre est en effet tout ça! J’imagine ne pas être la seule à aimer l’odeur d’un livre que l’on vient d’acheter ou au contraire, d’un ouvrage ancien.

Pour J-P Sartre, le livre a une âme, un esprit et a un pouvoir de révélation. En ce sens, qu' »il dévoile le monde, mais le change aussi avec lui. Le livre lu possède une part de nous qui peut aller où bon lui semble, dans le passé, le futur et ailleurs même ». Et oui, le livre est une invitation au voyage, pour celui qui lit et pour celui qui écoute, une escapade ensemble, à laquelle tout bébé déjà nous pouvons nous lancer.

Chantal Mélis-Constant « lire des albums à haute voix »…s’attache plus particulièrement à la structure du livre en lui-même et à la voix en tant qu’organe, si puissant que « bien longtemps après qu’elle se soit tue, poursuit son chemin dans le corps de celui qui la reçoit » . Elle pose également la question de la pensée sans langage et du langage sans pensée, citant Claude Ponti qui « pense en couleurs et non en mots »  et évoquant le danseur qui pense en mouvements.

Elle se réfère également à Guy de Maupassant, pour qui la parole éblouit et peut interférer: « la parole éblouit et trompe car elle est mimée par le visage. Mais les mots noirs sur la page blanche sont comme l’âme mise à nue ».

Elle évoque également le sens pluriel de l’album, d’abord donné par ses créateurs, puis par ce que l’adulte en comprend, ce que la voix en modifie et l’enfant en reçoit.

Chantal Mélis-Constant insiste sur un point qui me semble également primordial « il me semble impossible à un lecteur de lire à voix haute un texte qui ne lui dit rien parce qu’il est trop loin de ses ressentis, de ses préoccupations, de son propre langage ». De même qu’il lui est très difficile de lire un texte qui le touche de trop près. La rencontre alors n’est pas possible ». Je pense en effet, qu’un moment de lecture avec un enfant se prépare, ce qui veut dire qu’il faut faire connaissance avec le livre avant de l’ouvrir à l’autre. Et ne pas hésiter à le délaisser s’il ne nous parle pas car nous ne saurons pas le faire vivre. Tout comme un adulte n’étant pas à l’aise avec cet exercice oratoire, s’y forcer ne provoquera pas l’échange, il doit y avoir un réel désir, une réelle envie de partage.

La voix est aussi l’un des premiers liens mère-enfant. « La voix de la mère touche l’enfant à travers le liquide amniotique en se transformant en ondes », « la voix s’est faite caresse » Marie Bonnafé. En plus de transmettre la langue, la voix permet de communiquer avec le bébé et qu’il puisse ensuite s’approprier cet outil pour communiquer à son tour, de ses premiers babillages à la formation des phrases.

Chantal Mélis-Constant va même jusqu’à matérialiser la voix comme instrument « plus on travaille sa voix, plus on la connaît, plus on connaît son corps, mieux on lit, ce me semble. Pour moi, la voix est un instrument ».

Juliette Campagne (directrice de Lis avec moi), explique que l’un des enjeux de Lis avec Moi est de sensibiliser les parents qui semblent les plus éloignés de la lecture, car elle est en effet accessible à tous, à conditions de faire sauter certaines barrières. Les parents peuvent évoquer de mauvais souvenirs d’école, se sentir incompétent, le but est de le faire (re)trouver cette confiance. Des actions dans le Pas-de-Calais sont mises en place dans les écoles, y invitant les parents et entraînant une véritable révolution dans leur perception du livre, et surtout, de leurs compétences.

Le message à faire passer est que la lecture est accessible à TOUS et que chacun peut y trouver son compte. Il ne faut pas se fixer d’objectif « l’enfant a compris ce qu’il a compris, c’est très bien, c’est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à l’activité psychique qui vient de naître » Evelio Cabrejo Parra.

Elle met également en avant les bibliothèques qui disparaissent, les professionnels petite enfance qui ne connaissent pas la littérature enfantine, les tâches de conservation écrasant les bibliothécaires au détriment du partage des livres, des institutions locales qui ne se rencontrent pas, des parents qui ne sont pas les bienvenus dans des lieux d’accueil, les enfants qui n’ont jamais vu un livre…

Elisabeth Bergeron, membre du bureau de LIRE à Paris, définit  ainsi les objectifs de l’association (créée en 1998) : « favoriser l’insertion des enfants et des familles les plus démunies, et de contribuer à la prévention de l’échec scolaire et l’illettrisme dans une démarche culturelle. Les lecteurs de cette association interviennent dans une centaine de lieux d’accueil Petite Enfance dont les salles d’attente de centres de PMI (Protection Maternelle Infantile). Elle nous présente plusieurs exemples concrets de familles rencontrant la lecture dans ces lieux et leur évolution : « on constate que le simple fait de mettre des livres à disposition, de leur ouvrir la porte de lieux où on ne les attend pas forcément, peut être un déclencheur : changer la vision des livres et donner envie de les utiliser ».

Pour finir, Béatrix Nancy-Stenger partage son expérience auprès d’enfants prématurés et de leurs familles. Elle évoque la préoccupation maternelle primaire de D.W.Winnicott et de la blessure narcissique induite par cette prématurité. En s’appuyant sur M. Bydlowski, de C. Mathelin, elle relate la « crise » entraînée par la grossesse et la naissance d’un enfant, dans le règlement de la « dette » de vie et de l’écart entre l’idéalisation de l’enfant à naître et la réalité. Lire dans ces services si spécifiques, permet de faire entrer une autre voix, de casser l’ambiance médicale qui y règne et de provoquer la rencontre.

Pour conclure, je reprendrai cet extrait écrit par Alberto Manguel  » dans la littérature il n’y a pas de réponse monosyllabique -oui/non- il n’y a que des espaces ouverts. Lire, c’est apprendre sur soi, c’est appréhender le monde, c’est prendre la liberté, le pouvoir ».

Pour aller plus loin:

« Comme un roman » D. Pennac

« Eloge de la lecture, la construction de soi » M. Petit

« Une histoire de la lecture » Alberto Manguel

« Jeu et réalité » D.W.Winnicott

« L’odyssée de la voix » M-F Castarède

« Du langage aux langues » Ranka Bijeljac et Roland Breton

« Bibliothérapie. Lire c’est guérir » Marc-Alain Ouaknin

« Les jeunes enfants et les livres » René Diatkine, Marie Bonnafé

« La constitution du lexique: le développement lexical précoce » D. Bassard

« Je cherche un livre pour un enfant », le guide des livres pour enfants de la naissance à 7 ans. S. Van Der Linder