La jeune institutrice et le grand serpent, Irene Vasco, Juan Palomino, Obriart, 2022

Elle est arrivée au cœur de la forêt amazonienne pleine du désir de bien faire, avec sa valise de livres et ses certitudes.
Elle allait éduquer les enfants de Las Delicias avec bienveillance et efficacité. Elle avait la formation pour, elle était prête.

Dès le début de l’album, on comprend qu’elle a une vision un peu naïve du lieu, puisqu’elle sous estime très largement le temps de trajet pour y arriver. Et que pour elle, le dépaysement est total.
Mais elle s’installe dans la petite école sans toit ni murs, range ses précieux livres sur l’unique étagère et fais la classe avec plaisir.
Son activité semble lui donner entière satisfaction, les enfants adorent qu’elle leur lise des histoires, elle observe que les mères et grand-mères sont également intéressées par les livres que les écoliers empruntent chaque jour.

Quand les enfants viennent un jour la prévenir qu’un gros serpent arrive, qu’il va tout dévaster sur son passage et qu’il est en colère à cause des colons qui ont construit sur les rives du fleuve, elle se dit qu’il faudra les éduquer, les instruire, leur faire comprendre. Que ce ne sont que des légendes et qu’elles ont bien moins d’importance que l’éducation qu’elle entend leur distiller.

Ce n’est que quand le fleuve déborde, créant un énorme serpent de boue qui dévaste tout, qu’elle saisit enfin l’importance des légendes et autres récits dans l’éducation des enfants et qu’elle va enfin réaliser tout ce qu’elle a à apprendre d’eux et de leur entourage.

Après cette catastrophe qui a détruit entre autre ses précieux livres, sa façon de travailler sera très différente. Au lieu de s’appuyer sur les livres qu’elle avait amenés avec elle, ce sont ceux en tissus, brodés par les villageoises qui seront au centre des apprentissages. Des livres sans texte, qui font la part belle à la culture orale, et évoquent les légendes et contes sacrés de Las Delicias.

L’histoire de la jeune institutrice entre en totale résonance avec mes préoccupations professionnelles!
Je suis payée pour aller lire des livres aux enfants dit « éloignés du livre » ou encore « non lecteurs » et je le fais, comme la protagoniste de cet album, avec toute ma bonne volonté et ma bienveillance. Mais plus le fréquente les familles concernées et plus je mesure ce qu’elles ont à m’apprendre. Des cultures, des langues, des savoir faire, et des gestes aussi. Ici l’institutrice apprend à broder par exemple.

Comme elle, j’ai fait l’expérience qu’une situation symétrique est plus porteuse qu’une rencontre entre un  « sachant » et un « apprenant ».

Bref, c’est une belle histoire que je vous conseille.