Je t'attends Corinne Dreyfuss, Thierry MagnierJe t’attends, Corinne Dreyfuss, Thierry Magnier, 2021,16€

Dans cet album il y a une double narration pour la même histoire.
Un petit garçon attend sa mère qui lui a demandé de ne pas bouger avant son retour. Et un observateur extérieur, toujours hors champ, commente la scène, semble-t-il de loin, manifestement en s’adressant à quelqu’un.

« Regarde, c’est Léopold. »

« Qu’est-ce qu’il fait là Léopold, il a l’air pensif? »

Le texte seul s’étale sur une double page, laissant à l’imagination du lecteur le soin de faire des suppositions de contexte. On imagine alors un adulte, peut-être accompagné de son enfant, lequel est peut-être un camarade de classe de Léopold. Pas un proche, la suite du texte nous le confirme, plutôt une connaissance bienveillante.

Et en alternance avec ces pages noires, le point de vue de Léopold, qui est montré en plan rapproché, face au lecteur. Derrière lui, il n’y a pas de décor mais on devine une foule.

Je t'attends Corinne Dreyfuss, Thierry Magnier

Alors qu’il semble plutôt confiant quand sa mère s’éloigne (on la voit sortir de l’image alors qu’il affirme, souriant « je t’attends »), l’inquiétude arrive rapidement et fait même place à de l’angoisse.

Le temps s’égraine, 1, 2, 3, tic-tac, à chaque seconde la crainte se fait plus présente. « Je ne la vois plus… Du tout… » Le texte devient tremblant, l’image est de plus en plus sombre.

Une silhouette s’approche, on ne sait pas si c’est une personne bienveillant (personnellement je ne le crois pas, il me semble plus menaçant qu’autre chose) mais Léopold sait ce qu’il doit répondre: « Non je ne suis pas tout seul, j’attends ma maman qui revient tout de suite ». La voix et le menton sont certes un peu tremblants mais inconnu s’éloigne.

Et entre chaque scène, toujours cet observateur extérieur, dont la présence rassure l’enfant lecteur, qui commente et semble prêt à intervenir « À qui il parle? Ce n’est pas sa maman? Pourquoi elle a laissé Léopold tout seul? »

Un instant les pensées de ce narrateur extérieur et de Léopold convergent en un mot: Perdue?
Mais le dénouement arrive enfin, Léopold retrouve le sourire en même temps que sa maman et constate qu’elle s’est à peine éloignée le temps de compter jusqu’à dix.

Avec une grande maîtrise, l’autrice instaure un rythme haletant et fait monter la tension, tout en préservant le jeune lecteur ce qui est un sacré tour de force.

Elle utilise toutes les potentialités de l’objet livre pour servir son propos: alternance de pages mates et brillantes, hors champ, très gros plan sur le visage de l’enfant et ses yeux qui s’emplissent de larmes, arrière plan qui devient un fond noir, tout contribue au sens. Elle s’autorise des pages sans aucune image, ce qui pourrait bien devenir sa marque de fabrique, après l’album « Pomme pomme pomme » où elle a déjà expérimenté ce procédé sur une page, puis « Caché » qui est un album entièrement sans image.

Je t’attends est un livre extrêmement travaillé et parfaitement accessible aux enfants. Il a surtout la grande qualité de leur faire confiance et de ne pas tout dire ni tout montrer, en comptant sur eux pour interpréter.

Une bien belle réussite.