J’ai vu, Cendrine Genin, Rascal, Pastel 10€50

isbn: 978-2-211-21712-5

Et si on posait sur le monde le regard d’un enfant? C’est le pari très réussit de cet album.

“je l’ai vu par la fenêtre du matin courir drôlement par le chemin. Je t’aime chien noir.”

Une fillette est montrée de trois quart dos, le lecteur est invité à suivre son regard. Pourtant, il n’y a pas de chien noir à l’horizon. Seulement une ombre vague, au loin, jaune, comme une simple aspérité sur le papier. On se surprend à la scruter, avec la fillette dans le livre et l’enfant à qui on le lit. Ensemble, on regarde ce chien invisible, nommé mais pas montré, ce chien qu’il faut imaginer.

Et puis, à bien y penser, ce chien absent, il nous semble qu’on l’a vu, non? Généralement, c’est l’enfant qui le signale, il est plus attentif aux images que l’adulte qui, lui, pose surtout ses yeux sur le texte. L’enfant, qui s’autorise à tourner les pages à l’envers, il remonte le temps, revient à la page de titre. Le voilà le grand chien qui court. Il est… Jaune. Ça n’a pas empêché un enfant à qui j’ai lu cet album de me dire “il est là le chien noir” en pointant l’image. Je lui ai dit qu’il avait raison, que le chien était bien là. Parce que regarder une image c’est déjà l’interpréter, que représenter un chien, c’est déjà le montrer différent de sa réalité alors pourquoi pas une image jaune pour un chien noir?

Page suivante, la fillette s’est éclipsée, nous voyons désormais par ses yeux. “Je l’ai vu sur le rebord du jardin, à la pointe du sapin, je t’aime petit merle.” Toujours cette structure de texte qui attise la curiosité, on ne sait de quoi on parle qu’à la fin de la phrase, on garde le plaisir de faire des suppositions pendant tout le début. L’image, une fois de plus en léger décalage, montre l’ombre du merle. C’est dans ce petit décalage que l’intelligence de l’enfant à qui on lit le livre peut se mettre en mouvement. Dans ce petit espace de liberté qui lui permet de s’interroger, d’interpréter de penser.

L’album se poursuit, comme un poème, une ode aux petites merveilles du quotidien qui entourent l’enfant. Le chat, dont on ne voit que le corps le lapin, qu’on ne reconnaît vraiment que si on éloigne le livre. Prendre du recul pour mieux comprendre, voilà une expérience fondatrice pour les enfants. Et le caillou, tout aussi attachant pour l’enfant que les animaux, forcément.

Et puis ce “je”, ce sujet qui aime tout ce qui l’entoure et dont on ne voit pas grand chose. Ici une sandale rouge, là une menotte qui tient une poupée. Et puis, surprise, la voilà qui nous livre son prénom. Elle l’a écrit sur le mur de sa maison. L’image se fait narratrice, Rose nous est présentée. Tiens, on l’a déjà aperçue dans cet autre album de Rascal cette petite Rose, non?

Ainsi présentée, elle nous dévoile enfin son visage, si beau, si doux, pour dire son amour le plus évident, celui qu’elle a vu dans son cœur.

Cet album est une véritable merveille graphique et poétique, qui traite le jeune lecteur avec tout le respect qu’il mérite: en faisant une confiance absolue à son intelligence.