Le défi des enfants bilingues, grandir et vivre en parlant plusieurs langues

Barbara Abdelilah-Bauer tord le coup aux idées reçues sur le bilinguisme (“ça entraîne des difficultés dans l’apprentissage de l’écriture, de la lecture, ça abîme la langue française” etc…) et prône le développement d’un bilinguisme positif. Elle dresse un portrait des conséquences du bilinguisme sur le développement du cerveau de l’enfant, sur la perception qu’il en a, sans omettre les difficultés qui peuvent apparaître. En reprenant les mécanismes du langage, le “devenir bilingue” et ses différentes catégorisations, le bilinguisme au quotidien sont autant de thèmes abordés par Barbara.

Sa citation introductive “Autant de langues vous parlez, autant de fois vous êtes un être humain” (Europe centrale) résume parfaitement ma vision sur ce sujet.

Le fait de parler plusieurs langues est en vogue depuis quelques temps. C’est pourtant un phénomène qui se construit depuis pas mal d’années maintenant. On ressent cet essor notamment chez les professionnel(le)s de la petite enfance, allant même jusqu’à la création d’un diplôme universitaire intitulé “Bilinguisme chez l’enfant”. Sans oublier le rapport de la Commission européenne sur les langues maternelles, qui a contribué à ce développement et une nouvelle loi, légitimant le recours aux langues familiales dans des activités pédagogiques en classe. La France ne manque pas de montrer ses paradoxes, une fois de plus, en étant avec la Finlande le pays ayant le plus de diversité linguistique mais en restant officiellement monolingue (75 langues reconnues “langues de France” mais pas de ratification de la charte sur les langues minoritaires). Nous restons loin de l’exemple des pays Nordiques, de l’Allemagne ou du Luxembourg, et je n’aborde même pas la question des langues “vivantes” ou “mortes”!

C’est en prenant en compte le fait qu’au moins la moitié de la population mondiale est bilingue que l’on ne peut plus ignorer la mondialisation. 1 adulte français sur 4 se souvient avoir entendu une autre langue dans son enfance, souvent par les grands-parents, et seuls 26% ont réellement reçu cette langue, et sur ce pourcentage, il n’y a que 9% qui atteindra la génération qui suit.

Parler c’est communiquer, et dans ce cas précis, c’est “pouvoir se dire en deux langues” et repousser les frontières.

Rudolf Steiner (pédagogue) dit que “chaque langue dit le monde à sa façon. Chacun édifie des mondes et des anti-mondes à sa manière. Le polyglotte est un homme plus libre”.

Barbara nous rappelle que nous avons un capital génétique pour acquérir le langage, mais qu’il faut être mis en situation de pouvoir exercer ce don pour le développer et de s’approprier ce langage, qui est à la fois “notre manière de communiquer des idées, des émotions et des symboles au moyen d’un système de symboles”.

Par son cri et l’accordage affectif  (D.Stern) , le bébé va se familiariser avec les fondations du langage et donc avec l’interaction et les savoirs langagiers et linguistiques. La transformation des premiers cris en babil vers 6 mois et la réorganisation des capacités perceptives vers 10-12 mois vont concentrer le bébé sur le son de la langue maternelle et montrer que la compréhension précède de plusieurs mois la production.

Le développement du vocabulaire passe par plusieurs étapes: de 2 mots par semaine à un champ lexical de 50 mots il faudra une vingtaine de mois (rappelons que chaque enfant est unique et se développe à son rythme) jusqu’à connaître une “explosion lexicale” que vous connaissez sûrement, particulièrement dès le réveil du matin quand vous émergez à peine. 😉

Des recherches ont été effectuées auprès d’enfants de parents sourds, et il a été mis en évidence que la simple exposition à la langue n’est pas suffisante pour l’acquisition, mais qu’un contact verbal est indispensable (qui peut n’être que de 5 à 10 heures par semaine).

Plusieurs éléments à retenir: la période 0-3 ans est primordiale pour l’acquisition du langage, parler avec son bébé, favoriser l’interaction directe en face à face et varier les situations d’interaction est très important. Il est également préférable de se concentrer sur le contenu du message de l’enfant, plutôt que de s’attarder sur une erreur de prononciation, tout en corrigeant naturellement cette erreur dans notre réponse.

Lire avec les enfants permet également une construction plus élaborée du langage, les mots employés dans les livres sont souvent plus précis, plus diversifiés que dans le verbal.

Maintenant que l’on sait tout cela, il s’agit de ne pas tomber dans une autre dérive: la SUR-STIMULATION!

Le bilinguisme se divise en trois catégories: le précoce (avant 3 ans), précoce et consécutif après 3ans et tardif au delà de 6 ans. Tout l’enjeu est de trouver un bilinguisme équilibré entre les différentes langues, sachant que l’environnement immédiat de l’enfant induit directement le fait qu’une langue soit minoritaire ou majoritaire.

La peur du “mélange qui entraînerait une confusion mentale” est tenace, et pourtant le cerveau de l’enfant a une flexibilité étonnante, les régions qui traitent le langage sont pratiquement superposées, les langues y sont stockées différemment selon l’âge durant lequel le bilinguisme commence.

Il a été également constaté que les enfants bilingues ont une pensée “moins normée, mais plus créative, flexible et ouverte”.

Parmi les difficultés, nous retrouvons l’effort permanent que cela demande aux parents de maintenir cet apprentissage au quotidien, surtout si la deuxième langue est très différente de la première, impliquant un effort supplémentaire, et parfois ce sentiment pour certains d’être à la fois de partout et de nulle part.

Bref, vous l’avez compris, je suis une convaincue de l’ouverture au bilinguisme. Je participe moi-même à un projet d’une création de crèche sur Toulouse qui porte les valeurs de la langue occitane avec pour but final de devenir un lieu d’accueil bilingue.

Si vous êtes septique, lisez le livre pour avoir toutes les clefs en main. Et si cela est déjà acquis pour vous, ce livre ne fera que renforcer vos convictions! Foncez!

Je remercie Barbara Abdelilah-Bauer pour sa disponibilité et les éditions La Découverte pour sa participation.

Barbara Abdelilah-Bauer a eu une formation de professeur de langue puis est devenue linguiste et psychosociologue et est une fervente-défenseur de la conservation de la langue maternelle.

Pour aller plus loin:

“Guide à l’usage des parents d’enfants bilingues” Barbara Abdelilah

“Enfances plurilingues” Gilbert Dalgalian

“La dynamique des langues en France au fil du XXe siècle” François Héran, Alexandra Filhon, Christine Deprez

“La relation mère-enfant et l’acquisition du langage” G.L.Wyatt

“Le monde interpersonnel du nourrisson” D.N.Stern

“La constitution du lexique: le développement lexical précoce” D. Bassano

Internet:

http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article1508

http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/La-DGLFLF/Nos-priorites

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027677984&categorieLien=id

https://kielikompassi.jyu.fi/uploads/document_userfiles/LauraYlaoutinen_langues_regionales.pdf