Y a-t-il une vie avant l’adolescence?

Avec la participation de Maurice
BERGER, Marie-Laure CADART, Olivier CHEVRIER, Michel
DELAGE, Bernard GUZNICZAK, Murielle HENRY,Christelle
HUMBLOT, Christian LECLERC, Philip NIELSEN, Hélène
ROMANO,Jonathan RUPPY, Karen SADLIER, Anne TURSZ, Lucile
VALLET, Mael VIRAT, Dominique YOUF

 

Collection: Les cahiers dynamiques

Editions: Erès

Prix: 12.50€

J’ai choisi pour ce billet un sujet pas très gai, celui de la maltraitance. Mais il est de notre devoir de s’en informer, que ce soit pour être vigilant dans notre vie quotidienne en tant que parent, membre d’une famille, voisin ou dans notre rôle de prévention de travailleur social.

Sans tomber dans la ridicule étiquette de repérage de la
délinquance dès le plus jeune âge (CF le collectif «pas de zéro de conduite»*) , mais en
surfant sur le « tout se joue avant 6 ans » (Fitzhugh Dodson), le
constat est établi que bien des difficultés rencontrées avec les adolescents en
conflit avec la loi, trouvent leur origine dans l’enfance. Postulat qui
n’induit pas que toute enfance « perturbée » engendrerait de la
délinquance bien entendu.

Un ouvrage regroupant différents auteurs, différents corps de métiers et différentes expériences ne peut être que d’une grande richesse.

Dominique Youf (rédacteur en chef de la revue Les Cahiers dynamiques) fait le constat d’un manque d’apports sur le développement de l’enfant dans les formations des éducateurs de la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) et du fait que pendant longtemps en France, les droits parentaux ont été prioritaires sur les besoins fondamentaux de l’enfant. Tout en rappelant l’impact des événements vécus enfant sur la vie adulte et la vulnérabilité qu’est la période de la petite enfance, ce livre est un recueil pour la protection de la petite enfance.

Maurice Berger, chef de service en pédopsychiatrie, créateur de hôpitaux de jour et d’une unité d’hospitalisation, a consacré une grande partie de sa carrière à la violence des enfants, avec la double casquette de médecin et de chercheur. Il nous parle ici, d’une forte tension interne ressentie par l’enfant, externalisée souvent par un acte violent, et qui se nourrira s’il n’y a pas de dispositifs d’écoute et de contenance rencontrés.

Il met également en lumière la notion de répétition, notamment
avec ce jeune, dont la mère se griffait les joues à l’intérieur, qui commet des
agressions dans la cavité buccale de ses victimes. Il distingue deux sortes de
traumatismes précoces : en plein et en creux. Contrairement à ce que l’on
pourrait croire, les jeunes les plus violents ne sont pas forcément ceux qui
ont été frappés directement, mais ceux qui ont assisté à des scènes brutales,
qui se fixent dans la mémoire traumatique.

Contrairement à l’image de puissance qui peut ressortir lors d’un
acte violent, c’est à l’impuissance des images qui
resurgissent en lui que le jeune fait face (« réviviscence » :
retour à l’état brut des évènements traumatiques du passé).

 

Avant 2 ans, l’enfant n’a pas la parole pour mettre des mots sur ce
qu’il ressent, les scènes de violence étant stockées sous forme de
perceptions (voir le rôle de l’amygdale dans le cerveau).

Maurice Berger pointe que « la négligence est négligée en France »,
c’est ce qu’on ne fait pas, du soin corporel au besoin de stimulations, ce qui constitue en somme de la maltraitance sournoise. Le manque de stimulations a des conséquences
neurologiques, notamment sur la création du réseau des neurones. « L’enfant
construit l’image de son corps à partir du maternage »: si le maternage
manque, le corps ne peut pas être représenté, encore moins comme enveloppé, et
donc non contenant.

Winnicott a écrit « pour éprouver un sentiment de sollicitude…il
fallait d’abord pouvoir se représenter l’autre comme distinct de soi, sinon on
ne peut avoir de sollicitude à son égard. Et pour pouvoir se le représenter comme distinct
de soi, il faut un schéma corporel soi-même bien construit ». D’où la
difficulté de situer le bien du mal, et de lutter contre les récidives.

Leur enfance n’en est souvent pas une, entre autres par manque de
jeux, notamment les jeux symboliques pour apprendre à « faire semblant »,
qui n’ont rien à voir avec les jeux vidéo, excitants, automatiques et non interactifs.
 Des bilans psychomoteurs ont même été
réalisés chez des ados très violents de 11-12ans, et 7 sur 11 d’entre eux ne
savent pas marcher à 4 pattes, se retourner au sol ou ramper. Il y a une
véritable rupture de leur petite enfance, dans leur développement psychique et
moteur. Lors de recherches au Québec sur l’attachement, quatre caractéristiques
essentielles ont été retenues pour un attachement « en confiance »: la sensibilité
aux messages de détresse/ la proximité/l’engagement dans la durée/ la
réciprocité.

Maurice Berger souligne aussi la question de l’éducateur comme
figure d’attachement. Figure qui sera testée dans son engagement par le jeune,
qui demande une stabilité et qui dirige dans une limite cohérente.

 

Anne Tursz, pédiatre épidémiologiste et
directrice de recherche, fait le point sur la maltraitance en France et met le
doigt sur la méconnaissance des signes de la maltraitance et sur les idées
reçues à ce sujet.

L’enfant, être vulnérable, peut subir
toute sorte de sévices, sans pouvoir en parler ni se défendre. Face à cette
injustice, il apprend à se taire. Ce mutisme va se transformer en véritable « bombe
à retardement » selon les propos d’Alice Miller (docteur en philosophie,
psychologie et sociologie, ainsi que chercheur sur l’enfance). La maltraitance
subie aura des conséquences plus tard, d’autant plus redoutables de par la
fragilité spécifique de l’enfant, se révélant bien souvent à l’adolescence par
une symptomatologie inquiétante. L’intervention de personnes salvatrices
peuvent tout changer.

Anne Tursz appuie sur le fait que la
maltraitance n’est pas que dans la rubrique « faits divers » mais s’englobe
dans une sphère plus globale de déni des besoins fondamentaux des jeunes enfants
(CF loi n°2007-293 réformant la Protection de l’enfance).

Les chiffres sont encore aujourd’hui
édifiants :

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Elle rappelle le manque de formation sur la
sémiologie de la maltraitance, le manque d’investigations médicales et la
non-révélation des soupçons. Les signaux sont nombreux : ecchymoses,
fractures, cassure de la courbe de poids, repli sur soi, abattement etc… Mais
souvent difficiles à cerner, à ne pas confondre avec un déficit sensoriel, une
maladie ou un handicap. Elle décrit les 4 caractéristiques fondamentales de la
maltraitance : la précocité, la gravité, la répétition et la chronicité.
Elle casse également l’adage commun selon lequel la maltraitance est réservée
aux pauvres, car elle est essentiellement liée à des facteurs psycho-affectifs et
non à des facteurs socio-économiques.

La prématurité du bébé, les carences
affectives, les violences subies dans l’enfance du parent, son immaturité, l’isolement
moral, la dépression, l’intolérance, ou encore le sentiment d’être inapproprié sont
autant de facteurs de risques.

Hélène Romano, Dr en
psychopathologie-Habilitée à diriger les recherches, psychothérapeute, nous
parle de la mémoire traumatique. Toutes les allégations du déni de la
maltraitance peuvent trouver leur source dans « l’impossibilité de
concevoir qu’un enfant puisse être atteint par des violences ».  Également qu’ « un adulte doit avoir en
lui, la force de survivre psychiquement et physiquement pour pouvoir s’occuper
d’enfants ».

Plus loin, Le concept de résilience (CF
Boris Cyrulnik) est forcément évoqué, Michel Lemay nous parle des carences
intra-familiales, Marie-Laure Cadart différenciera la prévention de masse et la
prévention précoce de Myriam David et il sera également question de la violence dans le couple.

Chaque participant de ce livre amène son
expérience et son savoir sur cette question de la maltraitance et en font un
ouvrage qui m’a passionnée, du haut de ses 118 pages, il donne envie d’écrire
un mémoire tant il est riche.

Pour aller plus loin :

Livres :

« J’ai mal à ma mère » Michel
Lemay

« L’enfance face au traumatisme »
Hélène Romano

« L’enfant et les jeux dangereux »
Hélène Romano

« L’enfant sous terreur » Alice
Miller

« C’est pour ton bien » Alice
Miller

« Les vilains petits canards »
Boris Cyrulnik

« Pas de 0 de conduite pour les
enfants de 3 ans, manifeste pour une prévention prévenante » éditions érès

« Attachement et perte »
J.Bowlby

« Adolescence en crise, la quête de l’identité »
E.H Erikson

« Accueillir les adolescents en
grandes difficulté, l’avenir d’une désillusion » C. Bynau

« Les causes de la délinquance »
L. Begue

« Les oubliés, Enfants maltraités en France
et par la France » A.Tursz

« Ces enfants qu’on sacrifie … au nom
de la protection de l’enfance » Maurice Berger

« L’échec de la protection de l’enfance »
Maurice Berger

 

Internet :

*http://www.pasde0deconduite.org/spip.php?article1)

http://apprendreaeduquer.fr/7-minutes-comprendre-violence-educative-ordinaire-effets/

https://lesprosdelapetiteenfance.fr/vie-professionnelle/paroles-de-pro/chroniques/les-chroniques-darnaud-deroo/21-mois-et-delinquant-par-arnaud-deroo